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La Roque

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Soleil noir

La Roque
Parc du château de Florans
08/18/2024 -  et 10 (Toulouse), 20 (Neumarkt), 22 (Frankfurt), 25 (Nijmegen), 29 (Andeer) septembre 2024
Joseph Haydn : Sonates pour clavier n° 32 en sol majeur, Hob. XVI:39, et n° 58 en ut majeur, Hob. XVI:48
Franz Schubert : Moments musicaux, D. 780, opus 94
François Couperin : Pièces de clavecin, Livre II : Sixième Ordre : 1. « Les Moissonneurs » & 5. « Les Barricades mystérieuses » – Neuvième Ordre : 3. « Les Charmes »
Francis Poulenc : Mouvements perpétuels, FP 14 – Improvisations n° 13 en la mineur, FP 170, et n° 15 en ut mineur « Hommage à Edith Piaf », FP 176 – Intermezzo n° 2 en ré bémol majeur, FP 71 n° 2 – Mélancolie, FP 105
Domenico Scarlatti : Sonate pour clavier en ut mineur, K. 158

Christian Zacharias (piano)




Davantage rendu à son piano depuis la fin de son mandat à la tête de l’Orchestre de chambre de Lausanne en 2013, Christian Zacharias est toujours cet interprète à la fois exigeant, sensible et inventif qui séduit et surprend ses auditeurs depuis maintenant près d’un demi‑siècle. Si le son du Steinway semble un rien maigrelet dans les toutes premières notes de la Sonate en sol majeur de Haydn qui ouvre le programme du soir, impression qui incombe certainement à un mistral intempestif et parfois bruyant, Zacharias s’approprie rapidement l’espace de la conque de La Roque‑d’Anthéron. Bientôt, la sonorité s’installe bien au fond du clavier et dévoile toute sa densité, comme elle le faisait déjà dans les célèbres enregistrements Mozart et Schubert réalisés dans les années 1980 et 1990 pour Electrola : basses sombres mais sans lourdeur, aigus définis avec soin et registre médian admirablement mis en valeur. Avec sa longue silhouette vêtue de noir et courbée au‑dessus des touches, le pianiste allemand frappe par son extrême concentration, tandis que ses superbes moyens pianistiques (poignets d’une souplesse à toute épreuve et doigts très aplatis) sont mis au service d’un programme agencé avec une rare intelligence.


Aussi, la Sonate en sol majeur n’a‑t‑elle rien d’une banale « mise en doigts » : dans une optique qui exclut toute forme de pittoresque, davantage pré‑romantique que post‑baroque, Zacharias en souligne les climats changeants, particulièrement dans l’Adagio central d’une belle expressivité. En grand mozartien, il investit tout sa science du son et de l’instrument dans la quête d’une simplicité sans surcharge, qui s’impose d’emblée avec évidence.


Cette approche trouve tout son sens avec les six Moments musicaux de Schubert qui suivent. Adoptant des tempos retenus, Zacharias en offre une vision d’une austérité et d’une noirceur impressionnantes, à la hauteur de la version mythique de Radu Lupu au disque. Ainsi les interrogations du début du premier morceau, superbement phrasées, trouvent‑elles des réponses au poids accablant. La deuxième pièce, entamée sur un rythme lent et méditatif, offre un moment de grâce dans son épisode central, avant de renouer avec un climat anxieux dans sa conclusion. Le célèbre Troisième Moment musical, n’apporte pas de répit, l’« Air russe » étant entonné là aussi avec gravité et sans véritable caractère folklorique. Le parcours se poursuit dans les mêmes teintes sombres, en particulier dans la cinquième pièce, jouée dans un climat de fébrilité qui semble anticiper, sur une échelle plus réduite, le final de la Sonate en ut mineur D. 958. La pièce finale, d’une lenteur hypnotique presque richtérienne, apporte une conclusion frappante : plus qu’aux « Plaintes d’un troubadour » (sous‑titre fantaisiste donnée au morceau lors de sa première publication), on pense à « Der Leiermann » (« Le Joueur de vielle »), lied final accablé du Voyage d’hiver, dont les Moments musicaux apparaissent ici comme une sorte d’équivalent pianistique.



C. Zacharias (© Valentine Chauvin)


Le rapprochement avec Schubert paraît une nouvelle fois des plus judicieux lors du retour à Haydn et à la Sonate en ut majeur, dont le commencement interrogatif pourrait être celui d’un septième moment musical. A mesure que le rythme s’accélère au fil de l’Andante con espressione, c’est un pathétique beethovénien qui s’installe, tandis que le Rondo final n’apporte qu’une détente très relative : joué sans la jovialité qu’y mettent d’autres interprètes, il demeure rude et d’un humour froid, si tant est qu’on y puisse déceler de l’humour.


Après cette magnifique première partie placée sous le signe d’un pré‑romantisme viennois, la curiosité de Christian Zacharias nous convie à d’autres rapprochements plus singuliers encore, avec des pièces de François Couperin et de Francis Poulenc savamment agencées en miroir autour d’une sonate de Scarlatti faisant office de pivot central de cette seconde partie. Les juxtapositions proposées sont la plupart du temps très convaincantes : d’une rusticité bien stylisée, «  Les Moissonneurs », comme du reste les autres pages de Couperin, sont données dans une sonorité ample et pianistique (avec un usage certain de la pédale), qui ne cherche en rien à imiter le clavecin ; la pièce s’enchaîne donc tout naturellement avec les trois Mouvements perpétuels de Poulenc. « Les Charmes » sonnent de même d’une manière très recueillie dans la nuit de La Roque, et la beauté de ce morceau sur le Steinway trouve un magnifique prolongement avec la Treizième Improvisation de Poulenc, mélancolique et fauréenne. Enfin, la sonate de Scarlatti s’unit à la Quinzième Improvisation dans la sombre tonalité d’ut mineur, mettant en valeur la mélodie très expressive de cet « Hommage à Edith Piaf ». Si « Les Barricades mystérieuses » sonnent merveilleusement dans les teintes cuivrées au bas du registre médian du piano, le lien avec le Deuxième Intermezzo qui suit, d’une animation quasi brahmsienne, est moins patent. Néanmoins, le répertoire choisi pour toute cette seconde partie, traité avec toujours beaucoup de sérieux et sans rien d’anecdotique, témoigne de l’éclectisme et du profond respect de Zacharias pour toutes ces pièces magnifiquement servies, en particulier celles de Poulenc, rarement jouées et parfois mal considérées. De manière significative, c’est avec le compositeur français que se clôt un programme tout entier placé sous le signe du soleil noir de la Mélancolie.


Longuement applaudi, Christian Zacharias fait une nouvelle fois étalage de sa maîtrise avec deux bis remarquablement choisis et interprétés : le Menuet de la Sonatine de Ravel et « Les Tours de passe‑passe » de Couperin, signe d’un tropisme français naguère éveillé auprès de Vlado Perlemuter et qu’on espère le voir cultiver avec toujours autant d’intelligence et de talent.


Le site du Festival international de piano de La Roque‑d’Anthéron
Le site de Christian Zacharias



François Anselmini

 

 

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