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La Capitale d’Eté, Saison 3

Baden-Baden
Festspielhaus & Weinbrennersaal
07/16/2024 -  et 19*, 20* juillet 2024

16 juillet 2024, Festspielhaus
Hector Berlioz : Les Nuits d’été, opus 7
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonie n° 6 « Pathétique », opus 74

Joyce DiDonato (mezzo-soprano)
London Symphony Orchestra, Yannick Nézet‑Séguin (direction)


19 juillet 2024, Weinbrennersaal, Kurhaus Baden-Baden
Johannes Brahms : Die Mainacht, opus 43 n° 2 – Gestillte Sehnsucht, opus 91 n° 1 – Geistliches Wiegenlied, opus 91 n° 2 – Vier ernste Gesänge, opus 121
Sir Edward Elgar : Quintette pour piano et cordes en la mineur, opus 84

Joyce DiDonato (mezzo-soprano)
Marieke Blankestijn, Maia Cabeza (violon), Nimrod Guez (alto), Will Conway (violoncelle), Yannick Nézet‑Séguin (piano)


20 juillet 2024, Festspielhaus
Gustav Mahler : Rückert‑Lieder – Symphonie n° 4 en sol majeur
Joyce DiDonato (mezzo-soprano)
Chamber Orchestra of Europe, Yannick Nézet‑Séguin (direction)


(© Andrea Kremper)


Yannick Nézet-Séguin a pris ses habitudes maintenant à Baden‑Baden, mais y vient toujours avec des orchestres qu’il connaît bien, dont le Philharmonique de Rotterdam, The MET Orchestra ou The Philadelphia Orchestra, formations garantes à chaque fois de concerts mémorables, ne serait‑ce que du fait de leur niveau très élevé de technicité. Or cette fois, si Yannick Nézet‑Séguin arrive à nouveau à Baden‑Baden à la tête d’une phalange prestigieuse, l’Orchestre symphonique de Londres, il s’agit pourtant bien d’un début, le chef canadien n’ayant jamais eu l’occasion de diriger ces musiciens auparavant, à l’exception des sessions d’enregistrement, sans public, de la bande son du film Maestro de Bradley Cooper. Donc encore une collaboration en cours de rodage, ce qui se perçoit relativement bien, dans le premier mouvement de la Symphonie Pathétique de Tchaïkovski, à l’écoute de quelques problèmes de synchronisation des cordes. En particulier les premiers violons, et aussi les contrebasses, reléguées assez loin à l’extrême gauche, derrière les cordes aiguës n’ont pas leur homogénéité habituelle, cette légendaire précision du London Symphony, comme si certaines intentions affichées du chef n’étaient pas encore décryptées avec toute l’immédiateté souhaitable.


Ce difficile premier mouvement de Tchaïkovski est du reste souvent indicatif du niveau de collaboration entre un chef et ses musiciens du moment. On se souvient, à Salzbourg, d’Herbert von Karajan en répétition, ayant beaucoup de mal à y remettre sur les rails des Berliner Philharmoniker rentrant de vacances, et pas encore très attentifs. Ou, au contraire, de ce même orchestre parfaitement sûr d’emblée à Baden‑Baden, en 2017, sous la direction de son futur chef, un Kirill Petrenko il est vrai d’une précision et d’une lisibilité d’emblée infaillibles. Ce qui n’est peut‑être pas le cas aujourd’hui de Yannick Nézet‑Séguin, chef très « affectif » dans ses attitudes, qui s’attache davantage à communiquer prioritairement à ses musiciens un ressenti musical exacerbé qu’à les coordonner en un ensemble parfait. D’où aussi un Tchaïkovski émotionnellement à vif, qui repousse un peu loin des limites du bon goût, surtout au cours de ce premier mouvement de tous les dangers. Mais les volets suivants paraissent plus disciplinés, et le pathos culmine dans un Adagio lamentoso final d’anthologie, qui met les nerfs de la toute la salle à vif, le très long silence imposé ensuite à dessein par un chef resté totalement immobile, permettant à tout le monde de suffisamment se ressaisir, avant d’applaudir.


Le public paraît en tout cas venu bien davantage pour cette Symphonie Pathétique, qu’il écoute avec une concentration évidente, que pour Les Nuits d’été de Berlioz données en première partie, où manifestement beaucoup s’ennuient, toussent, peinent à rester attentifs. Là, ce ne devrait pas être, en principe, du fait de problèmes de prononciation de notre langue par Joyce DiDonato, qui se posent pourtant effectivement (un français compréhensible à moitié seulement, et pourtant ce sont là des mélodies qui sont bien connues), mais plutôt d’un manque de familiarité du public allemand avec cette musique, d’un romantisme plus diffus que démonstratif. Dommage, car ce qu’on écoute ici est très beau, chanté certes pour partie en sabir, mais avec un sens de la ligne, une longueur de souffle et un art de faire chatoyer les couleurs qui n’en est pas moins remarquable. Et les talents d’accompagnateur de Yannick Nézet‑Séguin, qui sertit la voix de multiples détails rares, et nous fait même encore découvrir dans l’orchestration de Berlioz des détails et des mixtures d’une incroyable subtilité, qui nous avaient échappé jusqu’ici, valent vraiment qu’on leur accorde une attention maximale.



J. DiDonato, Y. Nézet‑Séguin (© Andrea Kremper)


A la fin de la même semaine, on retrouve Joyce DiDonato, principale invitée de marque de cette édition 2024 de « La Capitale d’Eté », ce festival en passe de devenir régulier au mois de juillet à Baden‑Baden, où il a été mis en place par Yannick Nézet-Séguin depuis deux ans déjà, mais cette fois dans des Rückert‑Lieder de Mahler dont l’idiome paraît globalement plus familier à la mezzo‑soprano américaine. A ce stade de sa carrière, l’ampleur et la carrure allemande de ces pièces lui conviennent peut‑être désormais mieux que les subtilités berlioziennes. En tout cas, et même si parfois le bas de la tessiture paraît tout à coup affecté de quelques bizarreries d’intonation, ce Mahler‑là s’impose avec beaucoup d’autorité naturelle, et ce d’autant plus que l’orchestre a changé. Non plus le London Symphony Orchestra mais le Chamber Orchestra of Europe, numériquement plus réduit, et aux textures davantage transparentes. On retrouve là avec plaisir bon nombre d’instrumentistes de renom appartenant à d’autre phalanges, dont le sensationnel Philippe Tondre au hautbois, ou encore la sympathique Marieke Blankestijn, leader au Philharmonique de Rotterdam et ici présente en toute simplicité parmi les seconds violons, ou encore l’extraordinaire vétéran John Chimes aux timbales, qui n’a strictement rien à faire au cours de ces lieder, à l’exception d’« Um Mitternacht », où tout à coup son réveil ne passe pas inaperçu.


Au sein de de l’ensemble du corpus symphonique mahlérien, la Quatrième Symphonie proposée en seconde partie paraît la mieux adaptée à un orchestre qui, avec ses dix premiers violons seulement, reste d’un effectif relativement réduit. Ici la transparence qui découle de pupitres de cordes plus clairsemés fonctionne plutôt comme un atout, encore que... Au disque, oui, sans doute, alors qu’au concert c’est sans doute moins vrai. Le soubassement, même énergiquement dessiné par quatre contrebasses d’élite, manque un peu d’emphase, et le galbe général des phrases n’est pas non plus à son meilleur. En revanche, évidemment, la petite harmonie ressort sous des effets de projecteur quasi concertants, ce qui n’est pas à négliger. Curieusement, peut‑être à cause de cette abondance de détails, peut‑être aussi en raison d’une direction à nouveau très emphatiquement vécue, voire un peu trop distendue par les affects du moment, on perd parfois le fil au lieu d’avancer droit. Affaire de goût et de ressenti, sans doute, mais un rien d’architecture plus rigide en plus ne nous dérangerait pas. Belle conclusion avec la réapparition discrète de Joyce DiDonato pour le quatrième mouvement, chanté cette fois depuis le fond de l’orchestre, et avec une véritable humilité, bien en situation.



(© Andrea Kremper)


Le concert de musique de chambre « Yannick Nézet‑Séguin & Friends », donné cette année dans le cadre plus intimiste, encore qu’à l’acoustique un peu trop réverbérée, de la Weinbrennersaal du Kurhaus de Baden‑Baden, paraît aussi en passe de devenir une habitude très sympathique. Puisqu’ici, en petit comité, Yannick Nézet‑Séguin s’aventure aussi à jouer du piano, et fort bien. En première partie, Joyce DiDonato paraît un rien sur‑expressive dans les Quatre Chants sérieux de Brahms, qui appellent à notre avis un dépouillement plus crépusculaire et intérieur, mais l’accompagnement pianistique reste très détaillé et efficace. Et les deux lieder à trois, avec Nimrod Guez à l’alto solo, Gestillte Sehnsucht et Geistliches Wiegenlied, sont aussi un très beau moment de complicité.


Absence de prétention encore, dans le difficile Quintette avec piano en la mineur d’Elgar, qui suit après l’entracte. Une belle homogénéité de cordes qui pourtant ne collaborent pas régulièrement ensemble, et puis aussi, au piano, un Yannick Nézet‑Séguin courageux, qui n’a pas l’aisance d’un pianiste de concert, mais sait toujours faire passer l’essentiel, en restant suffisamment à flot pour continuer à coordonner l’ensemble avec une véritable autorité. Dans l’Allegro final, on sent que les doigts commencent à souffrir, mais l’essentiel est préservé. De toute façon une belle œuvre, dont le caractère encore très brahmsien paraît patent, mais qui reste aussi d’un abord un peu énigmatique, certainement plus aisé au cours des beaux épanchements mélodiques de l’Adagio, sans doute le souvenir qu’on en retiendra principalement.



Laurent Barthel

 

 

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