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Une rareté exhumée en Forêt-Noire

Bad Wildbad
Trinkhalle
07/19/2024 -  et 26* juillet 2024
Michele Carafa : Masaniello ou Le Pêcheur napolitain
Catherine Trottmann (Léona), Mert Süngü (Masaniello), Luis Magallanes (Torellas, Calatravio), Nathanaël Tavernier (Ruffino), Camilla Carol Farias (Thérésia), Juan José Medina (Matteo), Francesco Bossi (Gouverneur, Giacomo), Massimo Frigato (Pedro, Un charlatan)
Chór Filharmonii im. Karola Szymanowskiego w Krakowie, Piotr Piwko (chef de chœur), Filharmonia im. Karola Szymanowskiego w Krakowie, Nicola Pascoli (direction musicale)




Auréolé de gloire, Rossini a séjourné, en 1858, à Bad Wildbad. Dans cette paisible station thermale de la Forêt‑Noire se tient désormais, chaque été, un festival qui lui est consacré, à l’instar de celui de Pesaro. « Rossini in Wildbad » documente fort bien ses productions, au disque et en DVD. Le catalogue témoigne de la richesse de la programmation, qui s’attache, au fil des ans, à remettre sur les pupitres des partitions relativement peu jouées de Rossini, en plus d’œuvres de contemporains plus ou moins célèbres, comme, récemment, Mayr, Morlacchi, Auber, Vaccaj, et de titres peu connus de musiciens illustres, Romilda e Costanzo de Meyerbeer et Bianca e Gernando de Bellini, par exemple. Voilà une destination de villégiature toute trouvée pour l’amateur de beau chant, épris d’air pur, d’eau régénérante et de forêts touffues.


Cette édition, du 18 au 28 juillet, comporte, comme d’habitude, quelques productions au Trinkhalle et au Kurtheater, notamment une véritable rareté, en version de concert. Qui est donc ce Michele Carafa (1787‑1872) ? Un de ces oubliés de l’histoire de la musique, tenus dans l’ombre des plus grands de leur temps, en l’occurrence, en ce qui le concerne, de son ami Rossini. Fils d’un prince, destiné, par ce dernier, à une carrière militaire, ce musicien italien, qui s’installé à Paris en 1806, a composé plusieurs dizaines d’opéras, parfois sur des sujets similaires à ceux d’ouvrages composés par d’autres compositeurs ayant obtenu davantage de succès, comme ce Masaniello, créé à l’Opéra-Comique en 1827. Le livret de Moreau et Lafortelle se rapproche, en effet, de celui de Scribe et Delavigne pour La Muette de Portici d’Auber, apparu à l’affiche de l’Académie royale de musique l’année suivante. Cet opéra constitue un bel exemple d’ouvrage éclipsé du répertoire après un certain nombre de représentations – cent trente, tout de même, à la Salle Feydeau – au profit d’autres plus acclamés et réclamés, à une époque, sans équivalent aujourd’hui, d’intense créativité, sur des sujets souvent proches, voire identiques.



(© Rossini in Wildbad)


Ce drame historique relate le destin tragique de Masaniello, un modeste pêcheur, originaire de Naples, comme Carafa, qui se révolte contre les puissants, sur fond de lourdes taxes injustement prélevées pour financer la guerre. Reconnaissons ne pas avoir été totalement convaincu, ni par l’argument, plus précisément par ce livret, assez pesant, ni surtout par la musique, celle d’un bon faiseur, sans trace de génie, ni même de grand talent. Nous y décelons de trop nombreuses banalités, malgré quelques passages au souffle dramatique certain. Carafa a étudié avec Cherubini, mais l’élève n’a de toute évidence pas dépassé le maître, même s’il démontre, dans cet ouvrage ambitieux, sa capacité à écrire un grand opéra à la française, sur le modèle du Siège de Corinthe et de Moïse et Pharaon.


La distribution réunie pour ce concert, donné, pour la seconde fois, dans une salle pas totalement remplie, est assez solide, mais certains semblent plus y croire que d’autres. Les passages parlés demeurent le plus souvent ternes, trop scolairement déclamés, comme si les chanteurs découvraient cette composition depuis peu. Il est vrai, pour leur défense, que ce livret ne relève pas de la grande littérature, et certaines répliques prêtent à sourire. Mais tous affichent suffisamment de tenue et d’engagement pour conférer quelque intérêt à la résurrection de cet ouvrage.


Dans le rôle-titre, Mert Süngü arbore une voix claire et nette, en particulier dans les aigus. Le ténor ne manque pas d’impressionner par sa virtuosité, mais la caractérisation du personnage demeure quelque peu sommaire. En Léona, la femme de Masaniello, objet de convoitise et de chantage, Catherine Trottmann délivre en revanche une interprétation pleinement épanouie, plus juste et évidente, en combinant adroitement charme, force et délicatesse. Camilla Carol Farias, voix capiteuse et sûre, ne manque pas de se distinguer en Thérésia, un rôle secondaire auquel elle apporte du caractère et du charme. Nathanaël Tavernier soigne tout particulièrement la diction, à la limite de l’affectation. Cette élégante et imposante basse convainc en Ruffino imperturbable et cynique. Luis Magallanes peine légèrement à exister dans ses deux personnages, au caractère, certes, assez dissemblable, alors que ce ténor vénézuélien au timbre assez séduisant possède assurément une technique remarquable. Francesco Bossi traduit, sans forcer le trait, la dimension comique de Giacomo, tandis que Juan José Medina incarne Matteo avec verve. Massimo Frigato parvient également à se mettre en évidence, notamment par son timbre et son chant peaufiné, dans les deux petits rôles qui lui ont été confiés.


Nicola Pascoli dirige cette œuvre inégale avec une énergie palpable et une rigueur manifeste. L’Orchestre de la Philharmonie Szymanowski de Cracovie sonne parfois trop fort, non sans épaisseur, mais il affiche assez de précision et de tenue, la vitalité et l’expressivité l’emportant sur la finesse et la profondeur. Quelques belles interventions se dégagent, la flûte, en particulier. Les choristes, quant à eux, malmènent la prononciation française, comme à peu près la moitié des solistes, mais s’imposent aisément, avec fermeté et conviction, dans chacun des quatre actes.


Qu’auraient accompli, dans cet ouvrage malaisé à défendre, surtout dans une version de concert à ce point statique, une distribution francophone ainsi qu’un chef et un orchestre spécialisés dans les pratiques historiquement informées ? Ce Masaniello courageusement exhumé aurait probablement suscité davantage d’intérêt.


Le site du festival « Rossini in Wildbad »



Sébastien Foucart

 

 

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