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Werther bien seul sur scène Milano Teatro alla Scala 06/10/2024 - et 15, 19, 24*, 27 juin, 2 juillet 2024 Jules Massenet : Werther Benjamin Bernheim (Werther), Jean-Sébastien Bou (Albert), Armando Noguera (Le Bailli), Rodolphe Briand (Schmidt), Enric Martínez-Castignani (Johann), Victoria Karkacheva (Charlotte), Francesca Pia Vitale (Sophie), Pierluigi D’Aloia (Brühlmann), Elisa Verzier (Kätchen)
Coro di Voci Bianche dell’Accademia Teatro alla Scala, Bruno Casoni (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Alain Altinoglu (direction musicale)
Christof Loy (mise en scène, chorégraphie), Johannes Leiacker (décors), Robby Duiveman (costumes), Roland Edrich (lumières)
V. Karkacheva, B. Bernheim (© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)
Benjamin Bernheim est actuellement le meilleur Werther qui soit. Il le prouve encore une fois dans une nouvelle production du chef‑d’œuvre de Massenet à Milan : chant d’un raffinement extrême, sens du phrasé impeccable, diction française parfaite, longueur de souffle impressionnante, aigus lumineux, art des nuances, crescendi splendides, le ténor campe un héros romantique particulièrement fragile et mal dans sa peau. Si, malgré une telle incarnation, la soirée n’atteint malheureusement pas des sommets, c’est que le chanteur semble bien seul sur l’immense plateau de la Scala, car le français de la plupart de ses collègues est incompréhensible, ce qui gâche le spectacle pour des oreilles francophones. On imagine bien que la distribution des rôles n’est pas nécessairement de son ressort, mais on s’étonne néanmoins que Dominique Meyer, directeur français du célèbre théâtre lyrique, n’ait pas été plus attentif alors qu’il tenait le Werther de toute une génération. Le reproche vaut surtout pour la Charlotte de Victoria Karkacheva : la voix est certes splendide – puissante, corsée et sensuelle tout à la fois – et la silhouette de la chanteuse ferait pâlir nombre de mannequins, mais voilà on ne comprend pas un traître mot de son chant. On en vient presque à se demander si elle a elle-même une idée de ce qu’elle chante, car elle ne dégage aucune émotion. Français incompréhensible aussi, quoique dans une moindre mesure, pour la Sophie de Francesca Pia Vitale, à la voix pourtant légère, claire et lumineuse, idéale pour le rôle. On ne peut se consoler qu’avec l’Albert autoritaire et jaloux de Jean‑Sébastien Bou et le Schmidt truculent de Rodolphe Briand.
Un autre motif de consolation vient de la fosse, avec la direction musicale ardente et passionnée d’Alain Altinoglu, d’une grande force dramatique, au point de couvrir parfois les chanteurs. Le chef n’en est pas moins très attentif à la délicatesse et aux couleurs de l’orchestration, privilégiant les teintes automnales et mélancoliques, avec de belles nuances et des contrastes dynamiques.
La mise en scène apparaît comme l’exact opposé de l’exaltation musicale. En effet, Christof Loy a opté pour un drame intimiste mettant en lumière la solitude, la lassitude et le mal être existentiel non seulement de Werther mais de tous les autres personnages ; la direction d’acteurs est au cordeau, avec une attention toute particulière portée aux interactions psychologiques et affectives entre les protagonistes. L’espace scénique est délimité par une immense paroi blanche qui laisse peu d’espace sur le devant de la scène, créant un sentiment d’étouffement et de claustrophobie. Une porte donne sur une autre pièce dans laquelle on voit des fleurs, une table et des chaises. Christof Loy parsème le spectacle d’idées intéressantes. Ainsi, les deux sœurs, Charlotte et Sophie, sont ici des rivales, qui aiment toutes les deux Werther. Et d’ailleurs, c’est Sophie qui avertit le héros de l’arrivée d’Albert (alors que, normalement, c’est le Bailli qui lance « Albert est de retour »). Et c’est Charlotte qui remet à Werther le pistolet dont il va se servir pour se tuer. La fin de l’opéra, qui ne voit généralement que Werther et Charlotte sur scène, est passablement modifiée puisque Sophie et Albert sont eux aussi présents. Par dépit, Charlotte jettera aux pieds d’Albert les lettres qu’elle a reçues de Werther et Sophie montre très clairement qu’elle aime aussi Werther.
Le spectacle est coproduit par le Théâtre des Champs-Elysées, qui le présentera en mars‑avril 2025 avec Marina Viotti dans le rôle de Charlotte et Sandra Hamaoui dans celui de Sophie, ce qui devrait rassurer les oreilles francophones.
Claudio Poloni
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