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Sur les pas d’Orff

Bonn
Theater Bonn
06/20/2024 -  et 22*, 28 juin, 4 juillet 2024
Werner Egk : Columbus
Giorgos Kanaris (Columbus), Santiago Sánchez (Ferdinand), Anna Princeva (Isabella), Carl Rumstadt (Premier Conseiller, Herold), Christopher Jähnig (Deuxième Conseiller), Mark Morouse (Troisième Conseiller), Martin Tzonev*/Christopher Jähnig (Un moine), Tae Hwan Yun (Un chantre), Bernd Braun, Christoph Gummert (narrateurs)
Chor des Theater Bonn, Extrachor des Theater Bonn, Marco Medved (chef des chœurs), Beethoven Orchester Bonn, Hermes Helfricht (direction musicale)
Jakob Peters-Messer (mise en scène), Sebastian Hannak (scénographie), Sven Bindseil (costumes), Max Karbe (lumières), Robi Voigt, Yannik Böhmer (vidéo), Polina Sandler (dramaturgie)


(© Bettina Stöss)


Depuis maintenant dix ans, l’Opéra de Bonn poursuit un projet passionnant, dénommé « Fokus ’33 », afin de promouvoir le répertoire lyrique du premier tiers du XXe siècle, et qui s’étend en 2024 aux œuvres ayant disparu des programmes entre 1933 et 1945 ou ayant été composées durant cette période mais n’ayant pu effectivement être créées qu’ultérieurement. Au fil des saisons, de nombreux ouvrages oubliés de Braunfels à Reznicek, en passant par Franchetti ou Liebermann, ont donc pu revoir le jour. A cet effet, l’institution s’est rapprochée d’Operavision, qui diffuse notamment l’une de ces productions récentes, le méconnu Diable chantant (1928) de Franz Schreker, jusqu’au 17 août prochain.


Dans le même temps, il faut courir découvrir la nouvelle production très réussie de Colomb (1933) de Werner Egk, qui permet d’entendre sur scène la musique haute en couleur du plus célèbre élève de Carl Orff. Si l’influence de ce dernier se fait évidente dans les verticalités volontairement abruptes, aux sonorités richement ornées au niveau percussif, on note aussi une écriture vocale qui doit beaucoup à Kurt Weill dans la lisibilité et l’expression directe, au lyrisme à peine voilé. Quelques emprunts au jazz et au néoclassicisme sont aussi audibles dans cette musique, qui reste globalement arrimée à la tonalité, loin des innovations plus radicales de son temps. Alors en début de carrière, Egk écrit lui‑même le livret de cet ouvrage de commande, à destination de la radio, alors que le sujet lui a été inspiré par le Christophe Colomb de Darius Milhaud (à l’esthétique différente), créé peu de temps auparavant à Berlin, en 1930. Dès lors, le compositeur s’engage dans un travail documentaire pour rendre compte au plus près du parcours tragique de Colomb, en se concentrant sur les difficultés initiales de son projet (notamment pour vaincre les résistances des religieux), avant de détailler la première expédition et les massacres des populations locales, puis les difficultés à gouverner. La dernière partie, plus sombre et épurée, montre les limites d’Egk pour esquisser une palette plus délicate et nostalgique, loin du brio initial porté par ses talents d’orchestrateur.


L’Opéra de Bonn s’est donné les moyens d’encadrer les représentations de plusieurs événements, essentiellement des conférences, afin de contextualiser les enjeux soulevés par la production, au premier rang desquels l’image de Werner Egk, qui souffre encore de nos jours de sa longue et encombrante proximité avec le pouvoir nazi. C’est surtout sa position de chef du département des compositeurs à la Chambre de musique du Reich, pendant les années les plus sombres, qui lui est vivement reprochée. Bien qu’il ait été innocenté après la guerre, son attitude reste pour le moins suspecte, à l’instar d’autres éminents artistes de son temps. Un autre travail est à faire par rapport au livret, afin de mettre à distance la glorification de Christophe Colomb : la place qui lui est accordée fait aujourd’hui polémique dans de nombreux pays, en tant que figure emblématique du colonialisme. Le spectacle le rappelle lors d’extraits vidéo, sur les huit téléviseurs disposés sur scène, aux côtés d’artefacts coloniaux. L’orchestre en fond de scène est légèrement étouffé, mais cela permet aux solistes de ne pas avoir à forcer, dans la petite salle de 1 000 places environ (mettant à disposition des surtitres en anglais et en allemand).


La mise en scène de Jakob Peters-Messer se joue de l’exiguïté des lieux en faisant intervenir les interprètes parmi le public à de nombreuses reprises, particulièrement le chœur ou certains musiciens (quatre trompettistes notamment). De quoi offrir des effets de spatialisation saisissant et une dynamique particulièrement bienvenue pour les interventions omniprésentes des deux narrateurs. La présence de ces deux rôles parlés est en effet une des originalités de cet ouvrage à mi‑chemin entre oratorio et opéra, en leur faisant peser le pour et le contre sur les questions philosophiques et morales soulevées tout du long. Les deux comédiens Bernd Braun et Christoph Gummert sont parfait de vérité dans cette joute haletante, qui n’est pas pour rien dans la réussite de la soirée. On aime aussi le Colomb touchant de Giorgos Kanaris, qui sait faire évoluer son personnage vers davantage de fragilité en fin d’ouvrage. Si Anna Princeva (Isabella) assure bien sa partie malgré un vibrato prononcé, on est surtout séduit par la noblesse de ligne de Santiago Sánchez (Ferdinand) et par le chœur local, parfait de précision.



Florent Coudeyrat

 

 

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