About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Electronique et politique

Paris
Maison de la radio et de la musique
06/19/2024 -  
Elzbieta Sikora : Sonosphère III & IV (nouvelle version) (création
Luigi Nono : Como una ola de fuerza y luz

Yeree Suh (soprano), Jean-Frédéric Neuburger (piano), Augustin Muller (électronique Ircam)
Orchestre philharmonique de Radio France, Pascal Rophé (direction)


Y. Suh (© Marco Borggreve)


Ce concert voué au grand orchestre et électronique débute avec Sonosphère III & IV, une pièce en deux parties créée en 2017 lors du festival Musica Electronica Nova de Varsovie. Elzbieta Sikora (née en 1943) l’a révisée pour l’occasion, mettant à profit l’invitation de Frank Madlener de revenir travailler à l’Ircam. Un parfum vintage se dégage de l’écriture orchestrale qui, par endroits, n’est pas sans évoquer le sonorisme de l’avant‑garde polonaise des années 1960, notamment la Deuxième Symphonie (1966‑1967) de Witold Lutoslawski – également bipartite. Le souci de spatialisation a incité la compositrice à ventiler huit musiciens (cuivres et percussions) au balcon et au‑dessus de l’orchestre, cependant que l’électronique se projette à travers six canaux. N’empêche : le dispositif semble bien sous‑exploité. On aura beau percevoir vers la fin une amorce de cantilène aux violoncelles, la partition est dans l’ensemble écrite gros, avec des cordes divisées oscillant entre pizzicatos graves et houles de clusters. La direction affûtée de Pascal Rophé peine à en clarifier les textures.


Pour l’auteur de ces lignes, Como una ola de fuerza y luz (« Comme un fleuve de force et de clarté », 1972) est indéfectiblement lié à un disque mythique, enregistré en 1973 pour Deutsche Grammophon par Claudio Abbado, Maurizio Pollini et la soprano Slavka Taskova. Luigi Nono (1924‑1990) – membre du parti communiste italien depuis 1952 – y rend hommage au dirigeant du mouvement de la gauche révolutionnaire chilienne Luciano Cruz Aguayo, mort accidentellement.


Yeree Suh fait son entrée après l’introduction orchestrale, accompagnée par la bande magnétique (chœur de femmes et soprano solo), présente jusqu’à la fin. Avec une sûreté d’intonation confondante, des aigus percutant et fuselés, la soprano coréenne chante le poème de Julio Huasi telle une pythie habitée par l’oracle. S’ensuit un dialogue entre le piano véhément de Jean‑Frédéric Neuburger et l’orchestre dans le registre extrême grave, avec force cuivres et percussions (six exécutants) ; les cordes se taisent, excepté les contrebasses. Le son s’oriente graduellement vers les hauteurs jusqu’à la note la plus aiguë du piccolo (quatre exécutants), obligeant des musiciens du Philharmonique de Radio France à se boucher les oreilles. A l’instar de certaines œuvres de Ligeti (Volumina, 1962) et de bien d’autres (Malec, Manzoni, etc.), l’écriture trahit l’influence de la musique électronique, que Nono pratiquait intensivement au Studio di Fonologia della RAI à Milan. Pascal Rophé dispose d’un chronomètre sur son pupitre afin de synchroniser la bande avec un mouvement symphonique constitué de vagues multiples où dynamiques et opacité sonore s’intensifient au maximum. A ces blocs compacts et tonitruants succède un reflux spectaculaire puis l’épilogue, confié à la bande seule.


Quelqu’impliquée que soit l’interprétation de Pascal Rophé et des musiciens du Philhar’, cette cantate grandiloquente a passablement vieilli, tributaire qu’elle reste de son époque. Car il y a loin du Nono emphatique de Como una ola de fuerza y luz (prélude aux banderoles et slogans d’Al gran sole carico d’amore, 1975) au Nono des dernières œuvres dont les dynamiques au seuil de l’audible révèlent la « tragédie de l’écoute » – sous‑titre de Prometeo (1981‑1985). En fait de « musique engagée », Helmut Lachenmann, disciple du Vénitien, jettera la sonde plus loin avec seulement deux guitaristes dans le bouleversant Salut für Caudwell (1977) que l’édition 2016 du festival ManiFeste, dédié à l’arte povera, eut l’heureuse initiative de programmer. Un « art pauvre » d’une toute autre richesse, on l’aura compris.


Pour le centenaire de la naissance de Nono, la médiathèque de l’Ircam accueille jusqu’au 19 juillet une exposition « qui met en lumière les liens entre la musique électronique et l’engagement politique chez le compositeur ».



Jérémie Bigorie

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com