|
Back
Sexe et pouvoir Paris
Opéra Bastille
06/15/2024 - et 19, 23, 26, 29 juin, 2, 5, 8, 11 juillet 2024
Gaspare Spontini : La Vestale
Michael Spyres (Licinius), Julien Behr (Cinna), Jean Teitgen (Le Souverain Pontife), Florent Mbia (Le Chef des Aruspices, Un consul), Elza van den Heever/Elodie Hache* (Julia), Eve‑Maud Hubeaux (La Grande Vestale)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Ching‑Lien Wu (cheffe des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Bertrand de Billy (direction musicale)
Lydia Steier (mise en scène), Etienne Pluss (décors), Katharina Schlipf (costumes), Valerio Tiberi (lumières), Etienne Guiol (vidéaste), Olaf A. Schmitt (dramaturgie)
(© Guergana Damianova/Opéra national de Paris)
Après un siècle et demi d’absence, La Vestale, opéra en trois actes de Gaspare Spontini (1774‑1851), fait son retour dans une mise en scène brutale et excessive.
Faut-il pour quasiment ressusciter des œuvres françaises crées à l’Opéra de Paris et tombées dans l’oubli, ce qui est un des volets de la politique artistique d’Alexander Neef, leur donner un coup de fouet théâtral au point de les rendre incompréhensibles au public, voire de les ridiculiser ou les présenter dans un premier degré à peine stylisé ? C’est la question que l’on se pose au sortir de cette représentation de La Vestale (1807), conjointement à l’éternelle question de savoir, thème cher à Gerard Mortier qui en avait fait l’étendard de sa carrière directoriale, si le public d’aujourd’hui va au théâtre lyrique pour se poser des questions sur l’avenir du monde voire sur sa propre destinée...
L’Américaine Lydia Steier, après avoir mis en scène à Paris en 2022 une Salomé de Richard Strauss qui vient d’y être reprise cette saison en un spectacle brutal, sanguinolent mais efficace, recourt à nouveau à la violence pour expliquer au public parisien cette Vestale qu’il ne connaît pas, car hormis quelques enregistrements (dont le fameux milanais avec Maria Callas en 1954) et quelques récentes en version de concert, l’œuvre reste à redécouvrir. Le public « non averti » en est d’ailleurs prévenu dans le feuillet de distribution (mais pas sur le site Internet du théâtre) et se succèdent des scènes de meurtre, de torture, des exhibitions de cadavres dénudés, coups de fouet et crachats, tout cela venant épicer une lecture de l’œuvre qui mêle à l’Antiquité romaine pendant laquelle elle se situe des éléments du Second Empire sous lequel elle fut créée, à d’autres, notamment par vidéo interposée, de différents régimes fascistes et dictatures d’hier et d’aujourd’hui. La thématique religieuse et de la chasteté convoque la romancière Margaret Atwood, dont la fiction La Servante écarlate (1985) inspire sa direction d’acteurs plutôt sommaire. On aura compris que l’on aurait préféré pour le public d’aujourd’hui déjà saturé de ces images dans la vie réelle une proposition plus poétique mais manifestement, hormis les quelques sifflets d’usage, le succès le soir de la première représentation était au rendez‑vous.
Musicalement, on avait fait les choses en grand. Car même si la direction de Bertrand de Billy, malgré les efforts pour tirer vers le romantisme une partition qui fait le pont entre baroque et classicisme, reste assez conventionnelle, la distribution était de premier ordre. Le directeur Alexander Neef est venu annoncer que le rôle‑titre si écrasant, dans lequel se sont illustrées Isabella Colbran, Wilhelmine Schröder-Devrient, Maria Callas, Leyla Gencer, Rosa Ponselle, Régine Crespin et Montserrat Caballé, que devait reprendre, après Vienne en 2019, le soprano Elza van den Heever, serait chanté par sa doublure Elodie Hache. Celle‑ci s’est superbement acquittée du rôle de Julia, avec une voix claire projetant bien, un chant riche en nuances, une diction excellente et un engagement total. L’autre rôle vedette de Licinius semble écrit sur mesure pour le ténor désormais « baryténor » américain Michael Spyres, au bel engagement et à la diction exemplaire tant il flatte son registre grave. Magnifiques aussi Julien Behr en Cinna, Jean Teitgen, Souverain Pontife ridiculisé par sa tenue de militaire nazi, et Eve‑Maud Hubeaux, qui donnait, à défaut de quelques graves défaillants, une stature impressionnante à la Grande Vestale voulue sadique et caricaturale par la metteuse en scène américaine.
Le décor d’Etienne Pluss, situant l’action dans une version décrépite de l’amphithéâtre de la Sorbonne, et les éclairages de Valerio Tiberi apportaient un cadre efficace à une direction d’acteurs, on l’a dit, un peu paresseuse.
Olivier Brunel
|
