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Beaucoup d’imagination pour Francesca Caccini

Madrid
Teatros del Canal
06/04/2024 -  et 5, 7, 8*, 9 juin 2024
Francesca Caccini : La liberazione di Ruggiero dell’isola d’Alcina
Vivica Genaux (Melissa), Lidia Vinyes-Curtis (Alcina), Jone Martínez (Sirène, Messagère, La dame désenchantée), Alberto Robert (Ruggiero), Francisco Fernández-Rueda (Neptune, Astolfo, Un berger amoureux), Johann Sebastian Salvatori (Un monstre), Carmen Larios, Ivana Ledesma (Demoiselles)
Forma Antiqva, Solistas de la Orquesta Titular del Teatro Real, Aarón Zapico (direction musicale)
Blanca Li (mise en scène, décors, chorégraphie), Juana Martín (costumes), Pascal Laajili (lumières)


J. Martínez (© Pablo Lorente)


C’est l’un des premiers opéras dont la trame provient de l’Orlando furioso de l’Arioste, mais qui conserve en même temps le « paysage » mythologique des premières représentations opératiques, comme l’Euridice du père de Francesca, Giulio (1600), et l’Euridice de Peri, une division du travail entre eux, un atelier de connaissance et d’apprentissage pour la jeune Francesca. Même si Peri et Caccini, tout comme Monteverdi et Striggio, ont une prédilection pour le mythe concret d’Orphée et Eurydice. Et après l’Orfeo de Monteverdi, et aussi sa Daphne, malheureusement perdue, il semble que toute une esthétique s’impose, tout un premier classicisme dans le premier baroque. C’est tout à fait clair chez Francesca Caccini, tout comme chez Cavalli, et aussi, bien sûr, dans la réalisation proposée par l’ensemble Forma Antiqva dirigé par Aarón Zapico.


Cet opéra a été commandé par Marie-Madeleine d’Autriche, épouse du grand‑duc Cosme II de Médicis. Il s’agissait d’offrir un beau spectacle au prince Ladislas IV Vasa de Pologne. Il n’a été donné qu’une seule fois, en février 1625 – voici presque quatre cents ans – dans la Villa impériale de Piggio. Ce n’était pas un spectacle isolé : les exploits de Melissa, Ruggiero et Alcina étaient suivis de ballets et d’autres spectacles. Il est émouvant de voir que cet opéra oublié a été souvent repris ces derniers temps.


On sait que les partitions de l’époque ne sont pas détaillées, se limitant à la ligne vocale et à la basse, avec des indications générales, sans réalisation complète. Il faut donc en déduire l’orchestration par un travail de recherche, parfois une toute simple déduction au vu des instruments disponibles dans le palais ou le théâtre commanditaire. Produit d’une commande, La liberazione di Rugierro dall’isola d’Alcina est le seul opéra de Francesca Caccini qui nous soit parvenu. « Il est important », écrit Aarón Zapico, « de décider quels instruments nous jouons à chaque moment pour les chants et les intermèdes instrumentaux, quel accompagnement reçoit chaque personnage, et comment nous abordons les différents récitatifs, moments clefs et épisodes instrumentaux... ». Le résultat a été satisfaisant, une heure et demie de musique de Francesca Caccini, avec des insertions dues à Cavalieri, Monteverdi, Peri et Falconieri, dans la mesure où l’on ne sait pas ce qui était prévu pour les divertimenti ou les liaisons lyrico-dramatiques ; nous ignorons aujourd’hui ce qui, à l’époque, était considéré comme bien connu, voire routinier (et donc inutile à consigner par écrit).


Les recherches et l’interprétation de Zapico et de son ensemble dispensent de la beauté et parfois une certaine monotonie. Ils s’unissent à d’autres ensembles et initiatives qui, ces derniers temps, se sont confrontés à cette même partition de Francesca Caccini. Vocalement, les vedettes ont été Lidia Vinyes‑Curtis (la magicienne Alcina) et Vivica Genaux (l’héroïne Melissa), les deux femmes se disputant l’amour du pauvre Ruggiero, qui n’est plus un héros mais un bel homme complètement hypnotisé, voire aliéné. Mais d’autres voix ont également compté, comme celles du ténor mexicain Alberto Robert et de la soprano Jone Martínez, celle‑ci dans trois rôles qui réclamaient des nuances et des puissances d’émission complémentaires, souvent sans précédent pour la même voix ; Jone Martínez est bien connue, mais cela n’en a pas moins été une totale révélation.


Blanca Li a enveloppé cette belle folie dans une mise en scène entre pénombre et naïveté, elle a rempli ce qui manque, elle a fait danser ce qui sonne en solitaire, elle a prodigué sa fantaisie. Et tout cela dans un décor minimal animé par son imagination. Bien sûr, elle a été aidée par les lumières (décisives dans l’action) de Pascal Laajili et par les costumes imaginatifs de Juana Martín pour les dames (les hommes étant vêtus de costumes de ville), avec en outre six formidables danseurs (trois femmes, trois hommes) dans la pénombre mais également parfois au premier plan. Le concept théâtral de Blanca Li a joué un rôle important pour donner vie à une partition (même avec des « collaborateurs inattendus ») dont notre sensibilité est très éloignée. Le siècle de l’opéra baroque – le siècle commençant avec Monteverdi – est encore inconnu pour nous, mais il s’agit du siècle précédant immédiatement celui de l’opera seria. De telles initiatives sont importantes, surtout si les résultats artistiques sont aussi remarquables.


Cet opéra a évidemment déjà été mis en scène et enregistré, et il peut être stimulant de comparer comment chaque version l’aborde. Voici donc quelques références récentes : Ensemble Huelgas dirigé par Paul van Nevel ; ensembles Allabastrina & La Pifarescha ; Conservatorio Antonio Vivaldi, Alessandria ; Pro Musica Camerata.


En conclusion, une coproduction heureuse et très originale du Teatro Real et des Théâtres del Canal.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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