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« Même les petites choses peuvent nous enchanter »

Baden-Baden
Theater Baden-Baden
05/17/2024 -  & 17 avril (Graz), 14 mai (Wien), 2 juin (Garmisch-Partenkirchen) 2024
Lieder de Korngold, Zemlinsky, Järnefelt, Berg, Mahler, Strauss, Wolf et Sibelius
Camilla Nylund (soprano), Helmut Deutsch (piano)


H. Deutsch, C. Nylund (© Andrea Kremper)


Un très alléchant récital de chant, que le Festival de Pentecôte de Baden‑Baden a cependant préféré cantonner à la jauge restreinte du petit théâtre de la ville, bonbonnière d’un pur style Second Empire. Mais, même là, le nombre de sièges vides interpelle, le public se réduisant à une petite centaine de personnes. Apparemment les trombes d’eau qui se déversent en continu sur la plaine du Rhin ont dissuadé les plus prudents de se déplacer, même en ayant déjà acheté leur billet, le risque d’inondations routières n’étant pas exclu. Mais ceux qui auront en définitive bravé les intempéries, pour venir partager, entre happy few, cette extraordinaire soirée, n’auront pas eu à le regretter.


Les généreux et lumineux moyens de la soprano finlandaise Camilla Nylund – dont on connaît les facultés d’adaptation, qui en font aujourd’hui une Sieglinde et une Impératrice de référence, mais qui nous ont valu aussi, récemment, à Zurich, une Brünnhilde plus inattendue mais non moins radieuse – ne sont pourtant pas, a priori, d’un format très adapté au lied. Or c’est contre ce préjugé que s’est longuement battu Helmut Deutsch, qui depuis dix ans s’ingénie à persuader Camilla Nylund d’aborder régulièrement ce répertoire, en lui prodiguant ses conseils et bien sûr, en concert, son incomparable accompagnement. Et l’erreur de perspective mérite d’être effectivement corrigée, car ici, alors qu’on est pourtant assis à moins de quatre mètres d’une chanteuse impressionnante de stature et de carrure, tout s’équilibre très bien, la voix pouvant s’en tenir à un format intime sans rien perdre de ses superbes couleurs. Bien sûr, quand la projection prend de l’ampleur, on est très impressionné, mais c’est surtout la richesse de l’éventail dynamique qui apparaît exceptionnelle.


Une voix qui appelle certes les fastes d’une formation symphonique pour s’y ébrouer, mais qui, en partenariat avec le piano d’Helmut Deutsch, si indiciblement beau qu’il paraît à lui seul aussi riche qu’un véritable orchestre, se livre devant nous à un grisant exercice de pondération. Et le résultat est souvent prodigieux. Un rien moins dans des Rückert‑Lieder de Mahler chantés avec partition, peut‑être pas encore totalement assimilés, où une relative prudence limite l’émotion, mais la sensibilité frémissante des Sieben frühe Lieder de Berg, sertis dans un accompagnement proliférant comme une pièce d’orfèvrerie Art Nouveau, est vraiment une expérience à vivre, dont on s’efforce de ne pas perdre la moindre miette. Non moins fascinante, la ballade Waldgespräch de Zemlinsky, conciliabule nocturne dans une forêt où voix et piano associent tout leur potentiel pour évoquer, raconter, mettre en scène, un indéfinissable sentiment d’angoisse. D’Eichendorff on passe là, insensiblement, à une atmosphère à la Maeterlinck. Un équilibre entre romantisme tardif et expressionnisme latent difficile à trouver, et ici miraculeusement optimisé. Vraiment une perle à redécouvrir que cette ballade de jeunesse, à peine un peu plus souvent chantée dans sa version orchestrale (pour soprano, violon solo, harpe et deux cors et cordes), mais de toute façon vouée à rester une pièce pour connaisseurs. Au point d’ailleurs que le programme de salle se méprend sur son titre, en annonçant, en lieu et place, « Waldseligkeit opus 9 n° 2 », certes de Zemlinsky aussi, mais qui n’a aucun rapport.


Délicieux début de programme, avec quatre des Einfache Lieder opus 9 de Korngold, dont on se demande d’ailleurs ce qu’ils ont réellement de « simple » (« einfach »), surtout quand il faut tenter d’en évoquer l’opulente partition d’orchestre au seul piano. Mais là, évidemment, on peut compter sur Helmut Deutsch pour ne pas laisser le moindre scintillement sans relief. On notera d’ailleurs que « Sommer », même dans sa version orchestrale, inclut déjà une riche partie de piano : la mise en abyme est donc sans fin ! Et puis, à l’autre bout du récital, pour continuer à se faire plaisir, les Quatre Lieder opus 27 de Richard Strauss, parcours sans faute où là encore, la voix se déploie dans toute sa splendeur, mais c’est bien l’accompagnement qui hisse le tout vers les plus considérables sommets.


Finlandaise, Camilla Nylund rend aussi hommage au passage à ses compatriotes compositeurs, avec, à l’heure des bis, un prégnant « Roses noires » de Sibelius, mais auparavant dans le programme, entre Zemlinsky et Berg, trois mélodies du peu connu Armas Järnefelt, compositeur et chef d’orchestre empreint de culture wagnérienne, qui fut aussi... le beau‑frère de Sibelius.


A l’heure des bis encore : un remarquable Hugo Wolf, « Auch kleine Dinge » extrait de l’Italienisches Liederbuch, bel exercice de miniaturisation, un écart vers Broadway avec « If I loved you », donc sur les plates‑bandes de Barbara Streisand et Julie Andrews, mais avec une classe certaine, et, pour prendre congé, un majestueux « Zueignung » de Strauss à l’issue duquel Camilla Nylund ouvre une fois encore largement les bras, comme pour mieux étreindre affectueusement son maigre, mais courageux, public d’un soir.



Laurent Barthel

 

 

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