About us / Contact

The Classical Music Network

Bordeaux

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Le vagabond des mers

Bordeaux
Grand Théâtre
05/24/2002 -  les 26, 28, 29, 31 mai et le 1° juin.


Claudio Monteverdi : Il Ritorno d'Ulisse in patria.



Marijana Mijanovic (Pénélope), Kresimir Spicer (Ulysse), Cyril Auvity (Télémaque), Joseph Comwell (Eumée), Robert Burt (Irus), Zachary Stains (Eurimaque), Geneviève Kaemmerlen (Éryclée)...


Solistes et Choeur de l'académie européenne de musique d'Aix-en-Provence et des Arts Florissants ;
Orchestre Les Arts Florissants.


William Christie (direction musicale, clavecin, orgue) ;
Adrian Noble (mise en scène).





La Fedeltà premiata… tel pourrait être le sous-titre illustrant ce dramma in musica. Opéra pré-baroque qui ne possède aucune des variables ou des travers de ce genre. Exeunt les fioritures extrapolées, les vocalises « farinelliennes » et ces maudites ornementations réitérées ad nauseam ! Point de singes savants spécialisés dans la note haut perchée, lesquels par une débauche d’effets spécieux nuisibles, entachent somme toute l’essence de la « vis tragica ».



Le génie visionnaire de l’auteur de l’Orfeo a été de composer au dix-septième siècle tout en rêvant au vingtième, inventant une déclamation sui generis, anticipant le rap (écouter le « delirando » du Combatimento di Tancredi e Clorinda : du cantabile échevelé qui déménage !). L’arioso ou la mélodie continue de ce cher Wagner est déjà en germination. Monteverdi, ce démiurge, a édifié une volumineuse fresque mythologique d’une puissance évocatrice rare, une fabuleuse incantation lyrique, un madrigal fleuve de près de quatre heures : un condensé tétralogique. C’est du minimalisme avant l’ heure, et une flambloyante cantate dramatique de chambre, alliant chant polyphonique et canzonette.



Le Crémonais est un musicien-pionnier. D’ailleurs Idoménée de Mozart est le prolongement naturel d’Ulysse. Strauss (Ariane à Naxos, la Femme sans Ombre), Webern, Poulenc - jusqu'à Henze contracteront une dette esthétique inextinguible envers leur aîné. A propos de Henze justement, il n’est qu’à citer ce bref, quoiqu’intense, passage orchestral au premier acte : Ulysse endormi abordant quelque rivage mystérieux. A ce moment précis, l’on a l’impression (des plus étranges) de s’abîmer dans les tout premiers accords, vaporeux, somnambules, phosphorescents du Prince de Hombourg ; qui participent du « rêve réel éveillé » et de la transe hypnotique. Cristalline musique de transformation, extatique symphonie du silence ; l’on amerrit sur une planète des songes. L’opéra est alors un mirage perpétuel.



Force est de louer la pertinence de la mise en espace, sa totale adéquation avec l’impératif de pureté, de statisme. C’est une œuvre sur les thèmes de l’absence, de la disparition ; d’où son extrême lenteur, et des tempi étirés et éthérés consubstantiels au propos monteverdien. Celui-ci est axé sur un prodigieux concept de vocalité tournoyante. En effet, à l’image d’une voile de navire gonflée par un zéphyr marin soudain, les solistes planent, gravitent, tourbillonnent dans les airs au dessus de l’onde instrumentale - dominée par la basse continue, soutenue par une armada secrète de cordes mouvantes et de théorbes évanescents...



« Les Arts Arborescents » de William Christie semblent improviser, avec maestria, chaque micro-cellule musicale d’une trame orchestale ultra-dépouillée, austère, voire ascétique. Dans ces conditions, on peut dire que les voix sont à la hauteur, et évoluent comme des êtres immatériels sur l’immensité de la ligne musicale d’une apparente simplicité linéaire.



Se détache pourtant la marmoréenne Pénélope de Marijana Mijanovic, timbre sombre de mezzo, sphinx hiératique : une madone toute de noir vêtue, emmurée vivante dans un palais-mausolée orientalisant. L’opéra pourrait s’intituler Pénélope tant son port si gracieux, « von ottérien », hante chaque chaque miroitement de la partition. Sa ligne vocale est entièrement conçue autour d’un lancinant recitar cantando tendu, torturé, qui annonce le futur sprechgesang. Ce n’est qu’à l’ultime fin, au moment des retrouvailles que son chant, tel l’aile désentravée d’un oiseau, se déploie en un arioso « belcantiste » paroxystisque. L’Ulysse de Kresimir Spicer auréole son personnage d’une humanité frémissante avec un timbre doux et viril. L’élément burlesque n’est pas absent, et Robert Burt « prend un pied » fou dans la peau d’Irus, parasite ventru et arrogant vivant à la solde de la meute des prétendants stupides. Et l’on obtient la version ténor bouffe d’Osmin !



Au final, il s’agit sans conteste de l’un des temps-phares de la saison. Après ce poème océanique entre ciel, air et mer de l’atypique Claudio, l’on attend un autre Retour - non pas celui du Jedi, mais celui de Pénélope de Fauré ; rareté relative, joyau de l’opéra francais particuliérement délaissé. Même thématique, mais esthétique radicalement antagoniste ; et pourquoi pas, un jour, L’Ulisse de Dallapiccola… Faisons un Rêve !





Étienne Müller

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com