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Bruckner sur les cimes

Baden-Baden
Festspielhaus
03/24/2024 -  et 30* mars 2024
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 3 en ut mineur, opus 37
Anton Bruckner : Symphonie n° 7 en mi majeur

Jan Lisiecki (piano)
Berliner Philharmoniker, Tugan Sokhiev (direction)


J. Lisiecki, T. Sokhiev (© Monika Rittershaus)


Jan Lisiecki et Tugan Sokhiev se connaissent bien, depuis bientôt dix ans, pour s’être produits ensemble à plusieurs reprises dans le circuit international, notamment dans le Premier Concerto de Chopin, morceau de parade évident pour Jan Lisiecki, jeune virtuose né au Canada, dans une famille d’origine polonaise. Mais pour ce concert donné deux fois à Pâques à Baden‑Baden, il s’agit cette fois d’un concerto de Beethoven, et le défi à relever est différent, même si Lisiecki a déjà eu l’occasion de se confronter à l’ensemble des cinq concertos, notamment il y a quelques années, en tant que soliste, voire, simultanément, chef, pour un projet de tournée et d’enregistrement où il remplaçait alors, virtuose tout frais émoulu et disponible, Murray Perahia défaillant.


Jan Lisiecki atteint maintenant ses 29 ans, un anniversaire qu’il a d’ailleurs fêté la veille du premier de ces deux concerts, et débute avec les Berliner Philharmoniker, ce qui n’est pas rien dans une carrière. Pour la circonstance, il bénéficie de l’accompagnement très probe de Tugan Sokhiev, véritable modèle de précision et de stabilité, dans une ligne beethovénienne traditionnelle mais d’une belle ampleur. On imagine bien un Richter, un Michelangeli, ou aujourd’hui une Argerich ou une Leonskaïa, en dialogue avec un orchestre aussi bien assis, mais ne rêvons pas : ici une autre génération est à l’œuvre et n’a plus les mêmes ambitions. Donc place à une lecture pianistique probe, mais toute droite et un peu sous-caractérisée. Les sonorités sont cristallines, la virtuosité impeccable, et les traits rectilignes rallient de façon soigneusement calibrée la modulation suivante. On cherche vainement ne serait‑ce que l’ébauche d’un empattement ou d’une quelconque rudesse, bref on écoute un Beethoven agréablement fluide, romantique et sociable, sous les doigts agiles d’un gentil jeune homme blond, qui paraît recommandable à tous égards, même s’il remue vraiment beaucoup la tête en jouant. C’est à la fois beaucoup, pianistiquement parlant, et quand même relativement insuffisant en termes d’agogique et d’architecture. Surtout en comparaison avec les horizons fascinants dévoilés par Igor Levit dans ce Troisième Concerto, il y a moins de six mois, dans ce même Festspielhaus. En bis, Lisiecki paraît mieux en phase avec le Quinzième Prélude de Chopin, détaillé avec une sobriété et une sensibilité qui font immédiatement dresser l’oreille : manifestement, là, il s’agit beaucoup plus de son univers.


Autant la première partie de ce concert garde des allures de parachutage arbitraire, du moins du côté d’un soliste qui ne démérite pas, mais aurait peut‑être mieux fait de jouer autre chose, autant l’impression laissée par Tugan Sokhiev dans la Septième Symphonie de Bruckner est décisive. Là, tout le monde est en phase, à commencer, évidemment, par des Berliner Philharmoniker somptueux à tous les étages, dont la culture du beau son fait merveille, surtout quand il s’agit d’étager les plans instrumentaux comme des registrations d’orgue. L’assise des contrebasses, la plénitude des cuivres, mais aussi la pulpe des cordes, qui peuvent pousser très loin une culture du tremolo intense, jusqu’à une forme de frénésie collective vraiment impressionnante, laissent bouche bée. Mais la direction de Tugan Sokhiev n’est pas moins fascinante, veillant en permanence à tous les équilibres, avec une magistrale intuition de tout ce qui pourrait faire dévier les trajectoires, chaque excès ou facilité paraissant immédiatement jugulé. Un chef très agréable à regarder, sobre, efficace, qui sait parfaitement où il veut aller, et comment il doit se faire comprendre pour parvenir au résultat escompté. Une lucidité qui rend Bruckner infiniment noble, dépouillé de toute naïveté ou excès d’embonpoint. Chaque mouvement est admirable, mais c’est l’Adagio, d’une confondante noblesse d’inspiration, qui nous emporte au plus haut, écouté par la salle dans un silence véritablement religieux. L’art de rendre le finale cohérent, et surtout dépourvu de grandiloquence et d’ennui, n’est pas moins stupéfiant. Vraiment un grand chef brucknérien, et, de toute façon, un grand chef tout court.



Laurent Barthel

 

 

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