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Bon anniversaire

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Isarphilharmonie
04/19/2024 -  et 20 avril 2024
Arnold Schoenberg : Gurre-Lieder
Simon O’Neill (Waldemar), Dorothea Röschmann (Tove), Jamie Barton (Waldtaube), Josef Wagner (Bauer), Peter Hoare (Klaus-Narr), Thomas Quasthoff (récitant)
Chor des Bayerischen Rundfunks, MDR‑Rundfunkchor Chor, Peter Dijkstra (chef de chœur), Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Sir Simon Rattle (direction)


(© Astrid Ackermann)

Soirée un peu spéciale à l’Isarphilharmonie hier. L’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise célèbre son soixante-quinzième anniversaire. A cette occasion, l’intendante, Katja Wildermuth, fait un beau discours assez sobre sur l’orchestre et célèbre la présence dans la salle de membres de la famille d’Eugen Jochum et de Rafael Kubelík. Il est vrai qu’il n’est pas vraiment besoin d’insister sur l’aspect unique de cette soirée tant le fait de rassembler tant de musiciens sur scène pour une œuvre de cette amplitude est en soit assez extraordinaire.


Sir Simon Rattle a eu à plusieurs reprises l’occasion de s’exprimer sur cette œuvre, qu’il a découvert jeune dans la bibliothèque de Liverpool et qui selon ses dires, par ses dimensions, était la plus grande partition de la collection. Combien de chefs peuvent se prévaloir de connaitre une telle montagne aussi bien et aussi tôt ?


Ces Gurre-Lieder ont été écrit sur une période de dix ans. La première partie reprend le flambeau d’un Richard Strauss, la suite, plus violente serait plus wagnérienne mais surtout est encore plus expressive et moderne, le style de Schoenberg ayant évolué entre‑temps. Mais comme pour Les Soldats de Zimmermann ou Harmonielehre de John Adams, c’est une œuvre qui semble prolonger la musique du passé pour l’intégrer et aller bien au‑delà. Et l’on se dit que ce n’est pas un hasard si notre regretté collègue Benjamin Duvshani avait considéré que l’exécution de cette œuvre sous la baguette de Seiji Ozawa était l’une de ses plus belles soirées de mélomane.


Rattle a également fait une allusion au fait que son prédécesseur Rafael Kubelík avait réalisé le premier enregistrement « écoutable » de cette œuvre. Il est possible grâce aux plateformes de streaming d’entendre quelques enregistrements historiques qui précédent celui de Kubelík de cette œuvre et de pouvoir apprécier à quel point cette musique est aujourd’hui si comprise et si bien exécutée.


L’orchestre est ici simplement superlatif dans un répertoire qui lui convient si bien. On ne ressent à aucun moment dans une partition aussi richement orchestrée de dureté et de saturation. Les équilibres, en particulier entre cordes et cuivres, sont particulièrement bien réalisés, nous donnant un exemple de ce son profond, allemand pourrait‑on dire, que peu d’ensembles ont pu en fait préserver.


La maîtrise technique est telle que l’on oublie l’immense difficulté que présente ce monument et on peut se concentrer enfin sur la caractérisation des différents passages. Le tissu orchestral du début a beaucoup d’atmosphère et de couleurs. Plus tard, l’intervention de Tove, « Stern jubeln », a un certain charme viennois. Le déluge orchestral qui suit évoque le troisième acte de Tristan et Isolde. Le chant de la Waldtaube pourrait avoir été écrit par Mahler. La modernité et la violence des deux parties suivantes laisse un peu entendre ce que Schoenberg va devenir.


A nouveau, l’autorité de Rattle est évidente. Comme l’écrivait en 2000 notre regretté ami Frederick Kirshnit après un concert où Simon Rattle avait dirigé cette œuvre avec l’Orchestre de Philadelphie : « Never have I heard such emotion in this work and I’ve heard every conceivable performance of it as I am a self‑confessed Schoenberg addict. »


Il y a cependant quelques petits problèmes. Dorothea Röschmann est une immense artiste mais ce n’est pas du tout une Tove. Elle n’a pas le volume wagnérien nécessaire et son médium ne lui permet pas de phraser. Remplaçant Stuart Skelton, Simon O’Neill met un moment à trouver ses marques. Il est à plusieurs reprises un peu mince dans la première partie. Mais il retrouve plus la dimension du texte dans les imprécations des deux parties finales et surtout est d’une grande solidité. Josef Wagner et Peter Hoare savent tous deux faire parler le texte. Chaque mot est parfaitement compréhensible tout en ayant timbre et ligne musicale.


Comme souvent dans ces Gurre-Lieder, la mezzo steals the show. Jamie Barton a le privilège de servir un des sommets de l’œuvre. Elle a surtout une superbe projection qui lui permet de trouver de superbes phrasés. C’est avec beaucoup de plaisir que l’on retrouve sur scène Thomas Quasthoff. La partie finale du récitant révèle des talents inattendus de compteur et ses phrases finales sont une réelle libération avant le chœur final qui n’a rien à envier à ce que Mahler a fait dans sa Deuxième Symphonie.


Les chœurs, enfin, sont comme on les connaît, juste fabuleux. Le dernier passage, « Seht der Sonne », éclate dans une tonalité de ut majeur solaire mais le plus beau moment est le chœur hallucinant de la scène de chasse (« Des Sommerwindes wilde Jagd »), où chaque pupitre entre de façon différenciée.


Voici donc une superbe soirée, de quoi se réjouir non pas des soixante‑quinze dernières années passées mais des soixante‑quinze à venir.



Antoine Lévy-Leboyer

 

 

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