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Tombeau de Greif Normandie
Deauville (Salle Elie de Brignac‑Arqana)
04/06/2024 -
Franz Schubert : Quintette en la majeur « La Truite », opus 114, D. 667 [*]
Olivier Greif : Ich ruf zu Dir, opus 356
Serge Prokofiev : Ouverture sur des thèmes juifs, opus 34
Raphaël Sévère (clarinette), Emmanuel Coppey, Vassily Chmykov (violon), Manuel Vioque‑Judde (alto), Maxime Quennesson (violoncelle), Yann Dubost (contrebasse), Arthur Hinnewinkel [*], Gabriel Durliat (piano)
Le vingt-huitième festival de Pâques de Deauville, consacré essentiellement à la musique de chambre, s’est ouvert par un premier concert respectant tout à fait sa charte fondatrice de 1997 et son esprit. D’une part, il y avait en effet une sorte de passage de relais entre les « anciens », bien lancés désormais, et une « cinquième génération » d’interprètes, les « nouveaux », de jeunes artistes audacieux se destinant à la difficile carrière de musicien professionnel et auxquels le festival donne une chance d’exposer le talent et accorde une visibilité inouïe. D’autre part, le concert associait une œuvre bien connue à une pièce à la fois plus rare et relevant du répertoire contemporain.
A. Hinnewinkel, Y. Dubost, V. Chmykov, E. Coppey, M. Vioque‑Judde, M. Quennesson (© Stéphane Guy)
Le concert, enregistré par France Musique pour une diffusion ultérieure (20 mai), débutait par le célèbre et monumental Quintette « La Truite » (1820) de Franz Schubert (1797‑1828), dont le quatrième mouvement est inspiré du lied éponyme du même auteur. On repère à nouveau la classe et la présence de Yann Dubost à la contrebasse. C’est un peu l’ancien : ConcertoNet le suit à Deauville depuis 2008. Il avait fait partie de la remarquable équipe qui avait interprété la même œuvre dans le même lieu en 2014. Jouant un peu le rôle de basse continue, il soutient tout au long de l’œuvre ses jeunes compagnons dans une interprétation sensible mais assez sage et prudente. Emmanuel Coppey (né en 1999) au premier violon est encore un peu vert mais Arthur Hinnewinkel (né en 2000) confirme ses immenses talents et développe dans un magnifique final un jeu aussi véloce que nuancé. Ça frétille et tout coule avec naturel. On aurait simplement aimé plus de fantaisie pour cette schubertiade qu’on imagine bien jouée dans quelque brasserie viennoise. Mais le plaisir de jouer ensemble est là. Et la truite est si j’ose dire bien chantante.
R. Sévère, M. Quennesson, E. Coppey, V. Chmykov, M. Vioque‑Judde, G. Durliat (© Stéphane Guy)
Après la pause, le contraste est saisissant. Le public est invité à découvrir une pièce d’Olivier Greif (1950‑2000), créée dans le cadre du festival Présences trois mois avant la mort prématurée du compositeur : « Je crie vers toi », hommage à son père rescapé de la Shoah et récemment décédé, et à Bach dont le choral BWV 639 a été inspiré par ces paroles luthériennes lesquelles figurent aussi dans sa cantate BWV 177 (avec cependant la suite : Herr Jesu Christ). Le titre annonce la couleur noire de la pièce, entre abattement et frénésie, pour dire « l’innommable » pour reprendre le mot de Paul Celan et décrire le trou béant et irrémédiable de l’absence de l’être cher. Le pianiste, l’excellent et très jeune Gabriel Durliat (né en 2001), travaille surtout les graves de son instrument, souvent les mains superposées, la pédale forte étant souvent enfoncée. Il parvient à faire sonner comme des cloches sinistres dans le dernier mouvement, « Sambor », où l’on décèle à peine quelques traces de Beethoven et de Bach. Raphaël Sévère (né en 1994), dans le rôle de l’ancien, est celui qui crie sa douleur aux côtés de cordes plutôt concentrées sur les aigus. On reconnaît le style véhément et contrasté du compositeur qui impressionne toujours et qui touche au cœur. Mais on est surtout frappé du fait que ces interprètes, pourtant jeunes, ont su s’approprier de façon exemplaire cette œuvre singulière, marquée par l’expérience de la douleur et qui débute et finit par de longues plages de silence (malheureusement perturbées ce soir par un bruit de moteur permanent ressemblant à celui d’un réfrigérateur et provenant du plafond de la salle). On s’en voudrait d’oublier de mentionner in fine parmi eux Vassily Chmykov (né en 1999). Son jeu aussi intense que sensible démontre que, depuis son passage à Deauville en 2022, ses progrès sont tels qu’ils laissent entrevoir une fort belle carrière. Vraiment magnifique.
Après une œuvre pareille, les musiciens ont la très bonne idée d’empêcher des applaudissements qui eussent été déplacés en embrayant sans pause sur l’Ouverture sur des thèmes juifs (1919) de Serge Prokofiev (1891‑1953), l’effectif instrumental requis étant le même. Le concert se termine ainsi par une ouverture... Elle permet de souffler et de revenir sur des terres plus enjouées, entre marches et danses, montrant une autre face de la culture juive, pas encore marquée par la Shoah, et une autre face aussi du talent des artistes.
Le site du Festival de Pâques de Deauville
Stéphane Guy
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