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En route vers le Walhalla

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Maison de la radio et de la musique
03/29/2024 -  
Arnold Schoenberg : Concerto pour violon, opus 36
Richard Wagner/Henk de Vlieger : Le Ring, une aventure orchestrale

Patricia Kopatchinskaja (violon)
Philharmonique de Radio France, Tarmo Peltokoski (direction)


T. Peltokoski (© Peter Rigaud)


Beau programme manifestement taillé sur mesure que cette association du rare Concerto pour violon de Schoenberg et du Ring de Wagner qui sonne déjà presque comme un manifeste pour le très jeune (23 ans) Tarmo Peltokoski. Le chef finlandais deviendra en septembre prochain directeur musical de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, sans chef titulaire depuis le départ précipité de Tugan Sokhiev en mars 2022. C’était sa deuxième invitation à diriger le Philharmonique de Radio France après des débuts très remarqués en avril 2022. Entre‑temps, le prodige est devenu directeur musical de l’Orchestre symphonique national de Lettonie, premier chef invité au Philharmonique de Rotterdam, a dirigé son premier Ring (oui, vous lisez bien) et a débuté à la tête de plusieurs grandes phalanges mondiales.


Œuvre de la période dodécaphonique du compositeur viennois écrite au milieu des années 1930 après son départ pour la Californie, le Concerto pour violon de Schoenberg est néanmoins organisé traditionnellement en trois mouvements : vif, lent, vif. Patricia Kopatchinskaja ne fait qu’une bouchée de cette pièce redoutable écrite pour Jascha Heifetz, qui refusa de la jouer la trouvant trop ardue. C’est finalement Louis Krasner, le créateur du concerto d’Alban Berg, qui donnera la première en 1940 à Philadelphie avec Leopold Stokowski. La souplesse de jeu, l’intonation absolument parfaite de bout en bout, le lyrisme assumé comme la modernité radicale de certains passages, font de cette interprétation un modèle. Tarmo Peltokoski est à la fois précis et à l’écoute de sa soliste et maîtrise lui aussi à la perfection les multiples recoins d’une fascinante et complexe partition.


En bis, Patricia Kopatchinskaja rejoint Tarmo Peltokoski au piano et Jérôme Voisin, clarinette solo, pour jouer un extrait de Pierrot lunaire de Schoenberg. Il est fascinant d’y voir la violoniste d’origine moldave devenue chanteuse/récitante à la façon Sprechgesang, voire actrice, emmenant à la fin de la pièce bras dessus bras dessous le clarinettiste étonné mais manifestement charmé par cette forte personnalité aux talents multiples. Une Patricia Kopatchinskaja qui, désormais chaussée (elle joue toujours pieds nus), vient en tout simplicité se placer parmi le public pour écouter la suite du concert.


Place ensuite à cette étonnante pièce de 1991 Le Ring, une aventure orchestrale de Henk de Vlieger, compositeur hollandais né en 1953. Les puristes, qu’ils fassent ou non le voyage vers la Colline verte, seront sans doute sceptiques ; les autres s’ils sont plus ouverts y verront un intéressant résumé exclusivement orchestral de seize heures de musique. Seul étonne l’absence du Prélude du premier acte de La Walkyrie. Lorin Maazel, par le passé, s’était déjà risqué à un résumé orchestral de la Tétralogie (« The Ring without Words »). Toutefois, si l’on en croit Tarmo Peltokoski, le travail de Henk de Vlieger est plus réussi. Et pour l’occasion, l’orchestre s’est bien entendu étoffé avec huit cors (dont quatre Tuben) et huit contrebasses, un trombone basse, quatre harpes et six percussionnistes.


Tarmo Peltokoski y montre d’incroyables qualités de chef. Sans tomber dans la démonstration, il parvint à faire vivre chaque moment de ce montage, que ce soit par exemple le Prélude de L’Or du Rhin, la Chevauchée des Walkyries ou l’Immolation de Brünnhilde. Il dirige par cœur, les jambes bien ancrées dans le sol et le plus souvent avec baguette, même s’il lui arrive de la laisser de côté. Sa gestique est plus proche de celle d’un Salonen que d’un Mäkelä et n’a rien à voir avec la sobriété de Mikko Franck. La main gauche est d’une très grande expressivité. Tout semble facile, évident, lumineux et a du caractère.


Le résultat orchestral est superlatif si l’on exclut quelques menues imprécisions des cors et lors de certains changements de note dans les tutti très exposés des premiers violons. L’incroyable legato des cordes, la précision et l’intensité des trompettes, la beauté des bois (magnifique Olivier Doise, habitué de Bayreuth, flûte enchanteresse de Magali Mosnier) et les nuances qu’il obtient sont ceux d’un grand soir. Et, fait notable, il n’y a jamais aucune saturation sonore malgré la direction enflammée du jeune chef et l’engagement manifeste de tous les musiciens.


Et ce qui est sans doute le plus impressionnant est cette tension interne qu’il parvient à faire naître à chaque moment tout en faisant circuler la musique d’un pupitre à l’autre : fascinant ! En ce sens il fait penser ce soir à un autre magicien de la baguette lui aussi grand wagnérien (mais un peu plus âgé !) : Andris Nelsons. Avec des moyens sans doute plus extériorisés, il obtient un résultat tout aussi fascinant d’intensité, de concentration et de ligne. Nul doute que Christophe Gristi, le directeur de l’Opéra du Capitole, lui propose un jour un Tristan, un Parsifal ou... un Ring ? en attendant un jour certainement Bayreuth.


On n’a pas tous les jours l’occasion d’avoir la confirmation d’un immense talent. Hier soir à l’Auditorium de Radio France, Tarmo Peltokoski est apparu comme un très grand chef par sa vision, les moyens utilisés, la technique, la concentration et l’énergie. Encore un prodige de l’école de direction finlandaise de Jorma Panula. Après Klaus Mäkela qui fait presque désormais figure de vieux (il a 28 ans), voici Tarmo Peltokoski, un nom à retenir, ce que le milieu a déjà fait. Bien malin l’Orchestre national du Capitole de Toulouse qui l’a recruté au bon moment. Espérons simplement que le système ne le broie pas. Et la très bonne nouvelle est que Tarmo Peltokoski dirigera à nouveau le Philharmonique de Radio France le 16 janvier 2025 dans une Cinquième Symphonie de Mahler à ne rater sous aucun prétexte. Mais on peut aussi faire le voyage à Toulouse pour y entendre la Neuvième Symphonie de Bruckner le 3 mai prochain.



Gilles Lesur

 

 

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