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Théâtre d’ombres

Paris
Cité de la musique
03/21/2024 -  
Kaija Saariaho : Couleurs du vent – Semafor
Frédéric Durieux : Theater of Shadow II (création)
Michaël Levinas : Les Voix ébranlées – Prière d’insérer (création)

Emmanuelle Ophèle (flûte)
Ensemble intercontemporain, Marzena Diakun (direction)


(© Anne-Elise Grosbois)


Deux pièces de Kaija Saariaho (1952-2023) sont inscrites au programme de ce concert sous‑titré « Ombres et lumières ». Que la compositrice sans doute la plus fêtée de l’histoire de la musique occidentale échappe au purgatoire s’explique en partie par sa faculté à transcender son matériau : dans Couleurs du vent (1998) pour flûte alto, elle puise allégrement dans la boîte à outils que l’époque contemporaine met à sa disposition, mais les modes de jeu sont si finement intégrés au discours qu’on ne les remarque jamais pour eux‑mêmes. Entre cris (Saariaho parle d’une « palette de couleurs monochromes et criardes » de l’instrument) et chuchotements (présence du souffle), Emmanuelle Ophèle recouvre, au travers de cette musique conjuratoire, les magnétismes de l’aulète.


Semafor (2020) ne dégage pas les effluves enveloppants qui caractérisent habituellement l’orchestration de la Finlandaise. Les percées mélodiques de certains vents comme la clarinette et le basson oscillent, quatorze minutes durant, avec des jaillissements d’octaves dont les brisures monnayées à différents instruments ne sont pas sans rappeler le Movimento preciso e mecanico ligetien.


Est‑ce parce qu’il ne s’est pas acquitté de sa commande à temps que Michaël Levinas (né en 1949) a éprouvé le besoin de compléter Les Voix ébranlées (2023) par le plus succinct Prière d’insérer (2023-2024), donné en création mondiale ? Dans cette manière de diptyque, le compositeur se focalise sur « l’écoute vocale et mélodique du monde instrumental ». Là où certains Italiens du début du XVIIe siècle (Fontana, Castello) tentaient, dans leurs canzone, de s’affranchir de la musique vocale, Levinas recherche à l’inverse « l’ébranlement vocal » à travers une écriture polyphonique qui favorise « les lignes instables », « les altérations ». Se combinent ici des formes éminemment consacrées (passacaille, choral) et une production du son favorisant les transitoires – le spectre sonore est exploité dans toute son étendue. Parmi l’instrumentarium requis (une vingtaine de musiciens), on trouvera deux synthétiseurs, un consort de cordes aux lignes croisées et ces « chorals gondolés et cuivrés » qui voient la trompette émettre ses notes à l’intérieur du pavillon du tuba. Prière d’insérer nous a semblé presque surnuméraire après le glas de la harpe et de la contrebasse dans le tréfonds des graves sur quoi se referme Les Voix ébranlées.


La création de Frédéric Durieux (né en 1959) était encore plus attendue, le compagnonnage avec l’Ensemble intercontemporain, inauguré en 1985 avec Exil II, ayant connu des intermittences prolongées. Theater of Shadow II fait suite à un premier volet également lié à l’œuvre de Christian Boltanski (1944‑2021) dont les installations, hantées par la shoah et l’oubli, ont profondément marqué Durieux. S’il récuse les termes d’« illustration » et de « transcription », le compositeur entend « trouver des correspondances et des situations sonores » qui puissent évoquer les silhouettes éclairées caractéristiques du plasticien. Ceux qui s’attendent à une ambiance feutrée en resteront pour leur frais : la Klangfarbenmelodie qui se met aussitôt en branle s’épanouit dans le crissement des tam‑tams, les battements de la grosse caisse et le tonnerre des plaques de métal. Les musiciens sont amenés à jouer de plusieurs instruments (tuben pour les cornistes, clarinette contrebasse et cor de basset pour les clarinettistes) quand il ne leur est pas demandé de souffler dans des tuyaux. Ces éléments bruitistes, assez inattendus de la part de Durieux, sont toutefois disciplinés par une écriture très surveillée qui dénonce son ADN boulézien, telle l’irruption d’une toccata façon sur Incises. En relisant l’extrait du Schicksalslied de Hölderlin (immortalisé par Brahms) placé en exergue de la partition, on se dit que Durieux nous avait passablement préparé à ces accès de violence. Marzena Diakun, si elle ne peut suppléer au ressenti d’une fin abrupte et comme prématurée de l’œuvre, sait en déjouer les embûches grâce à la réactivité de son geste et à son sens de l’écoute.



Jérémie Bigorie

 

 

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