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Jonas au cinéma

Baden-Baden
Festspielhaus
02/17/2024 -  et 4 février 2024 (München)
Chansons et extraits symphoniques de musiques de film de John Williams, Alex North, Nacio Herb Brown, Henry Mancini, Nino Rota, Leonard Bernstein, Stanley Myers, Bernard Herrmann, Ennio Morricone, Juventino Rosas, Max Steiner, Francis Lai, Carlos Gardel, Maurice Jarre et Hans Zimmer
Jonas Kaufmann (ténor)
Münchner Symphoniker, Jochen Rieder (direction)


J. Kaufmann, J. Rieder (© Andrea Kremper)


La pratique du « crossover » fait aujourd’hui partie intégrante d’une carrière de chanteur d’opéra, en particulier au disque, obligation à laquelle Jonas Kaufmann n’échappe pas, et à laquelle il se livre parfois avec un certain panache, comme dans les séduisants albums « Du bist die Welt für mich » et « Wien », enregistrés respectivement en 2014 et 2019, hommages sensibles et bien documentés à deux des principales capitales de l’opérette au siècle dernier, Vienne et Berlin. Ces disques avaient été ensuite à chaque fois suivis d’une tournée de concerts, là encore d’une réelle ambition artistique. Ici-même, au Festspielhaus de Baden‑Baden en février 2020, le programme intitulé « Mein Wien », permettait d’en attester.


En revanche l’album « Dolce vita » de 2016, carte postale aux couleurs italiennes trop forcées, n’a sans doute séduit que les inconditionnels. Et pourtant, même là, à condition d’oublier quelques fautes de goût (dont le terrifiant Caruso de Lucio Dalla en début de programme), la qualité du chant, une véritable sincérité de l’approche, voire des trouvailles (la suavité mélodique de certaines romances proches de l’opéra, comme Rondine al nido de Vincenzo de Crescenzo ou Musica proibita de Stanislao Gastaldon), pouvaient justifier de s’y arrêter. Quant à certains croisements avec les tubes d’Andrea Bocelli, ils prêtaient certes à sourire, mais avec indulgence. En particulier Con te partirò, chanté par un Jonas Kaufmann aussi méticuleusement gourmé et propre sur lui, que son rival pouvait rester constamment latin et tripal.


Difficile de ne pas penser à nouveau à Andrea Bocelli, en écoutant à présent « The Sound of Movies », le nouveau disque grand public de Jonas Kaufmann, dont les points communs avec l’album « Cinema », signé par le ténor italien aveugle en 2015, sont relativement nombreux. Quatre titres identiques, voire le même type d’ambiance sonore, ripolinée par des arrangeurs qui n’ont pas eu la main légère. Ne serait‑ce que parce que nombre de ces musiques n’étaient pas du tout destinées à la voix, et qu’on en a tiré a posteriori des chansons, en collant artificiellement des textes sur des thèmes restés gravés dans la mémoire collective. Donc là encore un projet périlleux, mais où Jonas Kaufmann ne ternit pas trop son image, son excès de sérieux, voire sa raideur très allemande, fonctionnant en définitive comme un antidote relativement efficace à tout excès de sirop.


On l’aura compris, assister à un concert de Jonas Kaufmann donné dans le sillage d’un tel disque (non plus une véritable tournée, cette fois, mais quelques soirées éparpillées : Baden‑Baden, Prague, Munich...), n’allait pas sans un mélange de réticence, d’appréhension et de curiosité. Mais, finalement, on ne regrette pas le déplacement. Parce que Jonas Kaufmann possède décidément comme personne l’art de mettre un public dans sa poche, quoi qu’il chante, avec ce mélange très personnel de charme et d’application de bon élève, qui nous le rend toujours aussi proche, voire touchant. Et pourtant, le voir batailler avec un répertoire dont il ne possède réellement aucune des clés, ni linguistiques (un vrai et solide accent germanique, autant en anglais qu’en italien), ni techniques (on ne « croone » pas à volonté, du moins quand on reste avant tout un chanteur d’opéra), pourrait s’avérer rédhibitoire. Mais rien n’y fait, on attend toujours avec la même curiosité le titre suivant, et assez souvent, on se laisse prendre.


La qualité des pièces y est aussi de temps en temps pour quelque chose. Donc, certainement, oui à Nino Rota, à l’heure des bis, avec un subtil « What is a Youth » (initialement une chanson pour le Roméo et Juliette de Franco Zeffirelli), oui aussi à Ennio Morricone (le très lyrique « E più ti penso » de Once Upon a Time in America, ou même les arrangements de seconde main tirés de Mission et Cinema Paradiso), oui encore à Henry Mancini (Breakfast at Tiffany’s) et à Richard Rodgers (Carousel), mais certainement non à Hans Zimmer, dont le « Nelle tue mani », tiré du générique de Gladiator, est vraiment de la mauvaise musique. Dans tous les cas, Jonas Kaufmann reste très appliqué, veillant bien à se rapprocher, juste ce qu’il faut, du micro qui l’amplifie discrètement, quand il s’agit de cultiver un certain intimisme, donc en voix plutôt blanche, et en revanche à reculer d’un bon mètre par rapport à l’engin, aux moments où il retrouve sa projection de chanteur d’opéra. Force est aussi de constater que dans les passages où il lui faut moins timbrer, donc moins soutenir sa colonne d’air, il a tendance à ne plus chanter tout à fait juste. Le placement des aigus, toujours un peu problématique chez lui, même à l’opéra, peut aussi devenir particulièrement critique, notamment dans « Maria » de West Side Story. Donc toutes sortes de petits accidents et d’imperfections, mais, qu’importe, car un vrai charme opère toujours.


Impression favorable aussi pour les extraits de musique de film qui servent d’intermèdes, même si Jochen Rieder n’a ce soir à sa disposition qu’un Orchestre symphonique de Munich en petite forme. La Superman March de John Williams est martiale à souhait, en revanche les extraits de La strada de Nino Rota sont trop lourdement scandés, et la Scène d’amour de Vertigo de Bernard Herrmann manque d’ampleur, mais ce sont toujours des musiques qu’on réécoute avec plaisir, alors qu’en revanche l’inspiration décousue de La Routes des Indes de Maurice Jarre laisse perplexe.



Laurent Barthel

 

 

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