About us / Contact

The Classical Music Network

München

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Le devoir de mémoire

München
Nationaltheater
03/10/2024 -  et 13*, 16, 22, 25 mars, 13, 16 juillet 2024
Mieczyslaw Weinberg : Die Passagierien, opus 97
Elena Tsallagova (Marta), Sophie Koch (Lisa), Sibylle Maria Dordel (Lisa âgée), Jaques Imbrailo (Tadeusz), Daria Proszek (Krzystyna), Lotte Betts‑Dean (Vlasta), Noa Beinart (Hannah), Evgeniya Sotnikova (Yvette), Martin Snell (Un passager âgé), Larissa Diadkova (Bronka), Charles Workman (Walter), Bálint Szabó, Roman Chabaranok, Gideon Poppe (Trois SS), Lukhanyo Bele (Un stewart), Sophie Wendt (Une kapo)
Bayerischer Staatsopernchor, Christoph Heil (chef de chœur), Bayerisches Staatsorchester, Vladimir Jurowski (direction musicale)
Tobias Kratzer (mise en scène), Rainer Sellmaier (décors, costumes), Michael Bauer (lumières), Manuel Braun, Jonas Dahl (vidéo), Christopher Warmuth (dramaturgie)


(© Wilfried Hösl)


« Si on oublie le passé, notre humanité est mutilée. » (Elie Wiesel)


La programmation d’une maison d’opéra telle que celle du Staatsoper de Munich se fait plusieurs années à l’avance. « La vie imite l’art », disait Oscar Wilde, et ni Serge Dorny ni Vladimir Jurowski n’auraient pu anticiper que Le Nez de Chostakovitch illustrerait la Russie moderne de Poutine, que Guerre et Paix de Prokofiev prendrait une autre dimension avec la guerre en Ukraine, que Les Diables de Loudun nous feraient prendre conscience de la tyrannie des dogmes religieux, et que La Passagère de Mieczyslaw Weinberg se déroulerait après les pogroms du 7 octobre, surtout après que l’on réalise que dans certains pays, 25 % des personnes pensent que la Shoah n’a pas existé ou qu’elle est exagérée (voir ici). Qui aurait pu anticiper que l’opéra serait une forme de réflexion aussi actuelle ?


Comme pour Guerre et Paix, où il avait remplacé l’entrée des troupes libérant Moscou par une fanfare un peu grotesque, Vladimir Jurowski a procédé à quelques « modifications » du texte pour déstaliniser l’œuvre. Pour La Passagère, le chœur chante non pas en russe mais en polonais, et les interventions du personnage de Katya, personnage de propagande, sont supprimées.


Il y a également dans la conception de Tobias Kratzer une certaine relecture. Le décor du premier acte représente une série de terrasses sur le bateau qui emmène Lisa âgée enterrer son mari. Mais le souvenir de ses actions à Auschwitz revient la hanter et elle voit en chaque passagère Marta dont elle sait qu’elle est responsable de ce qui lui est arrivé, et se suicide. Le deuxième acte raconte la mort de Tadeusz, fiancé de Marta et violoniste, qui refuse fièrement de jouer la valse demandée par les gardiens et interprète la Chaconne de Bach à la place.


Il n’y a pas de représentation classique d’Auschwitz, mais le souvenir des camps est présent. Seul à la fin apparaît un petit poste de télévision montrant des images en noir et blanc, que l’on distingue difficilement et qui sont désormais, pour une nouvelle génération, le véhicule par lequel elle prendra connaissance de cette horreur et portera le flambeau du souvenir. A titre personnel, chaque fois que je les vois, je me demande si je ne reconnais pas dans ces masses de membres ma famille.


Tout ceci est intelligent et très fort, et l’on apprécie à nouveau le soin avec lequel ces œuvres sont traitées, comme on le ferait avec du Wagner, Strauss ou Mozart.


Dans la fosse, Vladimir Jurowski est à nouveau dans son élément avec cette musique à mi‑chemin entre Berg et Chostakovitch. Le plateau vocal est de toute beauté, mais ce que l’on retient surtout, c’est d’avoir sur scène autant de chanteurs acteurs capables de si bien caractériser leurs personnages. Parmi ceux‑ci, il faut mentionner Sophie Koch, capable d’alterner tant de sentiments si contradictoires, Charles Workman très éloquent en Walter et surtout Elena Tsallagova, ancienne Renarde de Barrie Kosky, si dramatique et touchante en Marta. Comme toujours à Munich, les petits rôles sont très bien distribués.


Comment avons‑nous pu ignorer jusqu’à présent la musique de Weinberg ? Ce même opéra vient d’être monté à Madrid. Le Festival de Salzbourg proposera cet été un autre de ses opéras, L’Idiot d’après Dostoïevski, et de nouveaux enregistrements nous permettent de découvrir ses compositions. Une telle soirée donne très envie de connaître plus de ses œuvres.


Pour cette deuxième représentation, la salle était pleine d’un public très attentif et de toutes les générations, qui eux ne feront pas partie de ces 25 % qui ont oublié ce qu’était Auschwitz.



Antoine Lévy-Leboyer

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com