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« L’Année 1905 » ou l’Histoire au programme

Paris
Philharmonie
03/06/2024 -  et 7* mars 2024
Serge Rachmaninov : Concerto pour piano n° 2, opus 18
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 11 « L’Année 1905 », opus 103

Yunchan Lim (piano)
Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä (direction)


Y. Lim (© Denis Allard)


Le programme de la saison annonçait l’effervescent Deuxième Concerto de Prokofiev, mais Yunchan Lim a joué le beaucoup moins rare, rebattu presque, Deuxième de Rachmaninov. Il y avait donc, pour l’éblouissant vainqueur du concours Van Cliburn, gagné grâce au Troisième, un défi à relever. Il n’y est pas vraiment parvenu. On ne niera certes pas l’agilité virtuose, ni l’éventail des nuances, mais la sonorité manque de chair et les couleurs sont limitées. Le sens de la forme fait aussi défaut, le pianiste n’avançant pas vraiment faute de dessiner une ligne à travers les phrasés. Comparaison n’est pas raison, on n’en garde pas moins un tout autre souvenir du Troisième Concerto par Leif Ove Andsnes. L’Etude en ut dièse mineur (opus 25 n° 7) de Chopin , plus maniérée qu’inspirée, confirme ensuite une tendance au narcissisme. La direction de Klaus Mäkelä est en revanche magnifique et l’on a plutôt, paradoxalement, écouté le célèbre opus russe comme une symphonie concertante – d’autant plus que l’orchestre, on ne le niera pas, avale souvent le piano dans les tutti.


Les musiciens trouvent ensuite avec la Onzième Symphonie de Chostakovitch une partition à leur mesure. Après la Leningrad, le chef finlandais a de nouveau élu une symphonie à titre. Pas la meilleure des quinze, mais la mise en musique du sinistre « dimanche sanglant » de janvier 1905 confirme l’ambiguïté de l’attitude du compositeur vis‑à‑vis du régime. Un hommage à la révolution confisquée et réprimée pour célébrer le quarantième anniversaire de celle de 1917, date de naissance d’une des dictatures les plus horribles qui soient, signifiait déjà quelque chose. Cet Opus 103 n’en valut pas moins à Chostakovitch le prix Lénine un an après sa création.


Klaus Mäkelä ne la dirige pas pour autant comme une symphonie descriptive vous prenant à la gorge, à rebours d’une tradition soviétique illustrée par les Mravinski, les Kondrachine ou les Rojdestvenski. Faut‑il rappeler que le Finlandais est né en 1996 et que son pays occupait, dans la galaxie soviétique, une position particulière ? Voici donc une lecture très puissante, mais pas moins attachée à la forme qu’au programme, qui ne donne pas moins à entendre qu’à voir – de quoi, finalement, rehausser la partition. La clarté de la polyphonie, la mise en saillie des timbres contribuent à aérer la masse sonore, notamment dans les déferlantes hallucinées des deuxième (« Le 9 janvier ») et quatrième partie (« Le Tocsin »). Partout le chef montre son art des enchaînements, préservant ainsi la continuité de la narration, notamment quand revient l’Adagio introductif. Mais la rigueur de l’architecture n’exclut nullement le lyrisme, avec un poignant lamento des altos au début de la troisième partie (« Mémoire éternelle »). Et l’on se dit au fond que, même inférieure à d’absolus chefs‑d’œuvre tels que la Huitième ou la Dixième, cette « Année 1905 », avec ses citations de chants divers, entre complaintes de détenus et Varsovienne, au-delà du tragique d’un programme très moussorgskien, peut aussi – voire d’abord – s’écouter comme l’œuvre d’un des plus grands symphonistes de l’histoire de la musique. Surtout quand la sert un orchestre chauffé à blanc, qui ce soir égale les plus prestigieux du monde. Et l’on se redit que le Deuxième de Prokofiev lui eût été mieux apparié que celui de Rachmaninov.



Didier van Moere

 

 

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