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Bellini hors style

Paris
Opéra Bastille
02/09/2024 -  et 13*, 15, 18, 23, 28 février, 2, 7 mars 2024
Vincenzo Bellini : Beatrice di Tenda
Tamara Wilson (Beatrice di Tenda), Quinn Kesley (Filippo Visconti), Theresa Kronthaler (Agnese del Maino), Pene Pati (Orombello), Amitai Pati (Anichino), Taesung Lee (Rizzardo del Maino)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Ching‑Lien Wu (cheffe des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Mark Wigglesworth (direction musicale)
Peter Sellars (mise en scène), George Tsypin (décors), Camille Assaf (costumes), James F. Ingalls (lumières)


(© Franck Ferville/Opéra national de Paris)


La figure de Beatrice de Tende attira l’attention de Bellini par le truchement d’un ballet du chorégraphe Antonio Monticini donné à la Scala en 1832. Appelée à chanter le rôle‑titre, la Pasta donna aussitôt son aval. Le sujet s’imposa donc, mais les déboires entre le compositeur (qui se « donne un mal de chien ») et son librettiste Romani (sollicité au même moment par d’autres tâches) auguraient le pire. Au reste le public réuni à La Fenice de Venise ce 16 mars 1833, partagé entre ceux qui espéraient un duplicata de Norma et une coalition des ennemis de la Pasta, lui réserva un accueil glacial. Contrairement à son prédécesseur, le pénultième opéra du Sicilien ne se relèvera jamais vraiment de cet échec, lequel acta la rupture entre Bellini et Romani.


Pour sa première mise en scène d’un opéra italien, Peter Sellars a choisi de compenser l’indigence du livret par une exacerbation de la violence dans un esprit plus proche de l’esthétique vériste que du raffinement bellinien. Mais Beatrice di Tenda n’est pas Tosca. C’est un bijou fragile du bel canto, qui peine à palpiter dans les décors disgracieux de George Tsypin : un jardin à la française d’un vert criard dont les haies alignées sur l’immense plateau hérissent leurs branchages et leurs festons en fer forgé. Hauts murs en plexiglas et plateformes surélevées parachèvent cette serre‑prison artificielle dans laquelle les personnages évoluent de manière empruntée. Le noir règne sans partage sur les costumes tandis que des accessoires, tour à tour high tech (tablette tactile, fusils d’assaut) ou manuels (taille‑haie, raclette télescopique), encombrent les mains des solistes et des figurants. N’était l’arioso d’Orombello chanté en position allongée, la direction d’acteurs, paresseuse, n’entravera pas la projection des chanteurs, réduits à se tenir droit comme des piquets. Qui dit violence dit hémoglobine : à l’issue d’un simulacre de procès, Pene Pati chantera son second acte en béquille et le visage tuméfiée ; Tamara Wilson brandira son moignon sanguinolent, loin de l’effusion des grands adieux propres aux scènes ultimes du bel canto : la prima donna s’achemine vers son supplice, le chant gagnant en ornements à mesure qu’elle gravit les degrés de l’échafaud. Si elle a ses intermittences, notamment au niveau de l’orchestration, la muse de Bellini connaît des moments de grâce, comme le trio du dernier acte.


Hier Turandot sur cette même scène et Adriana Lecouvreur au Théâtre des Champs‑Elysées, Tamara Wilson n’a pas la voix adaptée à la duchesse de Milan. La certitude appréciable que sa projection atteigne le dernier rang de la salle se paye d’un manque de flexibilité de la ligne, de raucités incontrôlées et d’aigus tendus. On entend par moment une puissance qui évoquerait celle d’une Joan Sutherland (à laquelle l’œuvre doit sa résurrection en 1961) si elle se doublait des bases belcantistes de la Stupenda ; or des nuances et des diminuendos n’effaceront pas l’à‑peu‑près des traits.


Taesung Lee et Amitai Pati sont des comprimari au style approprié. Theresa Kronthaler paraît trop en retrait dans un rôle qui appelle davantage de tempérament, pour ne rien dire de la coloration avare des vocalises dans son air d’entrée soutenu par la harpe. Voix rocailleuse, le baryton verdien Quinn Kesley ne détient pas toutes les clés de cette musique mais s’impose par l’incarnation. L’Orombello de Pene Pati rallie les suffrages par sa déclamation souple, son émission juste, sa faculté à moduler dans les ensembles. Le ténor samoan peut en outre s’enorgueillir d’un fort beau timbre et d’une belle présence scénique.


La direction de Mark Wigglesworth fait le grand écart entre les tempos alanguis de certaines arias et le primesaut bien senti qu’il insuffle aux chœurs dont certains préfigurent Verdi (les conspirateurs de Rigoletto et du Bal masqué), épaulé par un orchestre de l’Opéra de Paris parfaitement en situation. Soulignons le rebond des cordes, la précision des trompettes et la qualité des solos.


On a beau avoir recouru, pour cette coproduction avec le Liceu de Barcelone, à une édition critique de la partition, le spectateur de ce soir se figurera difficilement l’étoile de Beatrice di Tenda briller de manière pérenne au firmament du répertoire lyrique.



Jérémie Bigorie

 

 

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