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Le chef-d’œuvre de Zimmermann à Paris

Paris
Philharmonie
01/28/2024 -  et 18 (Köln), 21 (Hamburg) janvier 2024
Bernd Alois Zimmermann : Die Soldaten
Tómas Tómasson (Wesener), Emily Hindrichs (Marie), Kismira Pezzati (La mère de Wesener), Nikolay Borchev (Stolzius), Alexandra Ionis (La mère de Stolzius), Lucas Singer (Obrist), Martin Koch (Desportes), John Heuzenroeder (Pirzel), Oliver Zwarg (Eisenhardt), Milienko Turk (Haudy), Wolfgang Stefan Schwaiger (Mary), Laura Aikin (La comtesse de La Roche)
Mitglieder und Gäste des Herren- & Extrachores der Oper Köln, Gürzenich-Orchester Köln, François‑Xavier Roth (direction musicale)
Calixto Bieito (mise en espace)


(© Antoine Benoît-Godet/Cheeese)


« Lorsque nous avons repris l’œuvre en 2018, les musiciens étaient anxieux et se demandaient s’ils allaient réussir. Les premières répétitions étaient chaotiques, pour être honnête », confiait François‑Xavier Roth à notre confrère Antoine Lévy‑Leboyer (voir ici). Preuve, s’il en était besoin, que presque soixante ans après sa création par l’Orchestre du Gürzenich de Cologne sous la baguette de Michael Gielen, l’opéra de Bernd Alois Zimmermann reste un sacré défi. Il faut dire que l’écheveau contrapuntique totalise par endroits huit rythmes différents simultanés ! Aussi le claveciniste porte‑t‑il ponctuellement assistance au chef en battant la mesure à l’intention des percussions dans l’Intermezzo du deuxième acte. Zimmermann ne supportant pas la tiédeur, François‑Xavier Roth n’a rationné ni la grâce qu’il prodigue aux passages pointillistes, que baignent les résonances des instruments à cordes pincés et des percussions, ni la grandeur qu’il insuffle aux tutti fracassants. L’actuel Generalmusikdirektor de la formation rhénane n’oublie pas non plus de faire mousser les cordes dans le lyrique troisième acte. Rien d’excessif pour autant dans sa direction – que prolonge un simple crayon de bois – soucieuse des équilibres et de l’arc dramatique. Pétri de réminiscences, le grand œuvre de Zimmermann, pour difficultueux qu’il soit à mettre en place, annonçait moins une nouvelle ère de l’opéra qu’il ne parachevait un genre né 350 ans plus tôt : comme dans Wozzeck, les scènes se coulent dans des formes anciennes (Ciacona, Ricercari, Toccata...)  ; comme dans La Traviata, la musique commence par la mort de l’héroïne ; comme dans Aïda, moments chambristes et grandioses se relayent...


A défaut de répondre exactement aux desiderata du compositeur, lesquels prescrivent pour certaines scènes un ensemble de percussions (constitué de trois groupes distincts) situé derrière les décors, on a répondu aux enjeux de spatialisation avec une diffusion par haut‑parleurs.


Autre appréciable initiative en l’absence de fosse : une légère sonorisation de l’ensemble et particulièrement des solistes, ces derniers évoluant sur des gradins disposés derrière les musiciens. De quoi faciliter le dialogue avec l’orchestre dont Zimmermann n’a de cesse de varier la densité à travers petites et grandes formations. Dès le climax initial – un total chromatique fortissimo, couvrant tout le registre sonore, avec la scansion obsédante du aux timbales –, on se dit que les volumes de la Philharmonie ne sont pas de trop pour rendre justice à cette partition foisonnante à laquelle Calixto Bieito offre une mise en espace tantôt stylisée (tenues de ville, accessoires réduits à la portion congrue), tantôt naturaliste (frottements des corps, postures phallocratiques de la gent militaire). Si l’essentiel des didascalies passe par pertes et profits, la violence du propos perce dans les scènes de foule (force gesticulations, explicites positions sexuelles) pour culminer dans la sauvagerie du dernier acte qui voit une actrice-double de Marie (Denise Meisner) se faire violer non par la seule ordonnance de Desportes, mais par la soldatesque au complet, ivre de stupre et de bestialité.


Du personnage de Marie, à la fois jeune fille capricieuse et adulte consentante, objet sexuel et de répulsion, martyre et bourreau, Emily Hindrichs ne retient que la part victimaire. Mais son registre colorature impose un format des plus lyriques qui lui permet de moduler ses intonations çà en gloussements d’adolescente lorsqu’elle batifole avec Desportes, là en cris d’effroi. Laura Aikin, en revanche, fait de la Comtesse de La Roche un concentré d’ambiguïté. Des accents de tragédienne succèdent à des accès de violence (elle frappe Marie avec son sac) ou de consolation. Avec des moyens impressionnants, Alexandra Ionis et Tómas Tómasson incarnent respectivement la mère de Stolzius et un Wesener (trop ?) charismatique – l’amour qu’il voue à sa fille se teinte d’un érotisme malsain.


Difficile de ne pas penser à Wozzeck, son compagnon d’infortune lui aussi baryton et cocufié par un ténor priapique, à l’écoute du Stolzius (déchirant « C’était ma fiancée ! », acte IV) de Nikolay Borchev, qui affiche une maîtrise confondante de la complexité de sa partie. Du chœur des soldats émergent les figures du colonel Mary (Wolfgang Stefan Schwaiger, dont l’assurance du personnage se traduit par une arrogance de l’émission), Desportes (Martin Koch, séducteur un peu décati mais au solide ténor aigu) et l’aumônier Eisenhardt (Oliver Zwarg, maîtrisant parfaitement la récitation recto tono).


Si, comme le précise Laurent Feneyrou dans les notes de programme, « l’écriture du quatrième acte des Soldats trahit une certaine distance avec celle des trois autres », la sonorisation convaincante tout le long de la représentation consolide l’unité stylistique de la partition sans atténuer en rien le suffocant effet final, mêlant orchestre et électronique : un grand cri éclate, avant de retomber jusqu’au silence complet ; silence que le public, sous le choc, hésite longuement avant de rompre en applaudissements nourris. A quand Les Soldats sur une scène parisienne ?



Jérémie Bigorie

 

 

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