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L''amour jusqu''à la rupture, et au-delà

Paris
Théâtre du Châtelet
05/06/2002 -  


Wolfgang-Amadeus Mozart : Concertone pour deux violons en ut majeur, KV 190.¹
Piotr Ilitch Tchaïkovsky : Sérénade pour cordes en ut majeur opus 48.*
Wolfgang-Amadeus Mozart : Symphonie Concertante pour violon et alto en mi bémol majeur, KV 364.²
Felix Mendelssohn-Bartholdy : Concerto pour violon n° 1 en ré mineur.



Maxime Vengerov (violon¹, alto², direction) ; Stephanie Gonley (violon¹, direction*) ; Philippe Mesin (violon²).


English Chamber Orchestra.




L’ordre initialement prévu pour la programmation ayant été légèrement bousculé, on aura plaisir à suivre les méandres et rebonds d’un concert de grande envergure - littéralement, un concertone - dans une succession encore différente. On dira, crescendo. Aux deux extrêmes de son déroulement, deux œuvres rares de deux adolescents surdoués, Mozart et Mendelssohn. Quel plaisir d’entendre ce Concertone KV 190, si peu joué et enregistré ! Maxim Vengerov, la vedette de la soirée, s’associe à Stephanie Gonley, premier violon de l’English Chamber Orchestra, pour une première démonstration de couple à huit cordes. La partition est foisonnante, thématiquement très inventive, et d’une grande rigueur instrumentale.


Si Vengerov empoigne d’autorité son violon avec quelque sécheresse, comme sont saccadés ses gestes à l’attention de l’orchestre ; c’est Gonley qui s’empresse de séduire par un affetto mozartien apparemment inné. Dans une couleur d’ensemble chatoyante (on pense à Beecham et son Quatrième pour violon seul, voire à Gilles Apap avec le Troisième), la capacité de l’Anglaise à enlacer et attendrir un Russe très décoratif ne manque pas d’émouvoir. La beauté de l’English Chamber Orchestra ne s’est pas démentie depuis les années Barenboïm ou Perahia : certes non !


L’écriture ébouriffante de Mozart, concertante et camériste à la fois, l’honore grandement (quels vents délicats) ; et met en valeur Josephine Knight, premier violoncelle solo, dans la curieuse cadence à trois du deuxième mouvement… Ainsi que dans le Finale, roboratif et touffu, où les deux violons d’agilité et de grâce doivent accepter de faire jeu égal avec leurs partenaires.


Tel n’est pas le cas du Premier Concerto de Felix Mendelssohn ; cent fois moins connu (mais aussi virtuose) que le fameux mi mineur, gloire du répertoire - et voilà une deuxième rareté de choix pour la soirée ! Non que l’orchestre y soit négligé, bien au contraire. Et à cet égard, la comparaison avec le Concerto pour Piano que Clara Wieck-Schumann écrivit au même âge (Radio-France, le 27 avril) fait un peu pitié pour cette dernière… Les thèmes sont francs, carrés ou dansants, admirablement répartis dans un ensemble composé - c’est à noter - uniquement de cordes.


Invention mélodique belle et sûre ; en son épicentre, et comme rayonnant autour d’un fascinant contre-ut dièse tout à la fin de l’Andante, Maxime Vengerov, au four et au moulin. Théâtral voire cabotin, tout comme lyrique ou effusif, apparemment frais comme la rose ; au terme d’un parcours autant varié que mouvementé, on vous assure. Et ce, dans un Finale aussi bref que physiquement éprouvant - surtout pour un soliste-chef, sans cesse à l’écoute de ses ouailles, même dans l’ostentation.


Entre ces deux petites perles qui ne demandent qu’à prendre plus souvent le chemin des chevalets, deux morceaux de choix. Et, comme il se doit lors d’un récital de star, l’un d’entre eux, sans elle ; pour la mieux mettre en valeur encore. C’est la Sérénade pour Cordes, assurément l’un des chefs d’œuvre de Tchaïkovsky, dévolue à Stephanie Gonley dirigeant de sa place une phalange électrisée.


Dès l’abord de la Pièce en forme de sonatine, avec une discipline mirifique, s’abattent les tranchants des lames de couteaux. Par une précision et une transparence de quatuor à cordes, l’ensemble britannique délivre arête sur lacération, ne trouvant de répit que dans une Valse rutilante mais non superficielle. D’une grâce sans mièvrerie débouchant naturellement sur une Élégie appelée à faire date. Altos contres premiers violons sur fond de violoncelles onctueux : il se joue là une romance en trompe l’œil, déliquescente et délétère - à la Schubert.


La conclusion, une des plus poignantes jamais entendues, appelle le Thème russe avec naturel, le contrepoint serré aux résonances d’orgue servant d’exutoire. Le retour du premier thème du premier mouvement, amplifié, accru en son malaise - très opératiquement comme le souligne Gérard Condé dans la notice - , vient conclure sous forme de supplique, comme un couvercle s’abat sur un tombeau. Ovation méritée pour Gonley et son équipe, et salle chauffée à blanc.


En matière de coups de théâtre, elle ne sait pas encore ce qui l’attend ! La Symphonie Concertante KV 364 de Mozart fait partie de ces pages que plusieurs vies peut-être n’arriveraient pas à appréhender comme elles le mériteraient. Synthèse en apothéose du style galant (au meilleur sens du terme : français) et de l’écriture savante, elle propose rien moins que l’un des plus beaux duos d’amour de toute l’histoire de la musique.


C’est Philippe Mesin, cette fois-ci, qui donne la réplique à Maxime Vengerov. Lequel s’attribue l’alto, comme le fit autrefois David Oïstrakh face à son Petit Prince Igor. Et qui, dès son entrée sur un admirable orchestre cousu à façon, empoigne son instrument comme on le fait d’un corps aimé. Avec envie, ardeur et véhémence - sans retenue, ni même de pudeur. Lorsque l’altiste ne fait pas ainsi l’amour avec son alto, il le fait avec le violon de son compère. Puis, plus loin, ce sont ces deux-là encore, qui étreignent l’ensemble instrumental.


La réalité dépasse à ce point la fiction que, tendue par tant de va-et-vient, une corde se casse sous l’archet frénétique du Russe. Et celui-ci d’échanger prestement, mais en vain, son alto mutilé avec un de ceux du rang... Il faudra interrompre, juste avant la cadence, pendant de longues minutes. Avant que ne reviennent les solistes, reprenant - comme si de rien n’était - leur corps à corps musical là où ils l’avaient laissé, devant un public enthousiaste.


Les très riches heures du Théâtre du Châtelet s’enorgueilliront d’un Andantino de légende. La coupure - très triviale, mais prise avec humour - qui a précédé, donne à Vengerov et Mesin l’occasion de trouver un état de connivence extatique, que rehausse un orchestre mellifère ; contraint à un tempo très religieux. Tirant des sons inouïs de son alto tout neuf, c’est au Russe de bercer son partenaire ; tandis que larmes et baisers sourdent, avec le plus mozartien des abandons, du diptyque cadence/coda. Celle-ci étant la plus simple et prégnante inversion du thème, qui se puisse trouver.


Le Presto rendra l’effusion plus virile ; il ne la desserrera pas pour autant. De plus en plus physiques, les solistes (et surtout Vengerov, avec des doubles cordes à rendre fou) déploient une énergie énorme de système stellaire en construction, dans le plus grand respect de l’élégance formelle. Dernier accord, tel un spasme - et fermez le ban sur une démonstration grand cru classé.


Deux légers regrets : vive le bon sens près de chez vous (France Musiques) qui, en retransmettant en direct, garantit aux spectateurs de ce miracle, l’impossibilité d’en enregistrer le souvenir : merci ! Curieuse qualité d’écoute dans la salle, pour finir : lorsqu'éructations, catarrhes et autres borborygmes succèdent sans honte à l’Andantino de la Concertante ; des applaudissements fanatiques viennent saluer des gerbes de pizzicati stupides et au kilomètre, en plein milieu d’un « bis » affligeant - la non-musique d’un Caprice, de l’envahissant Paganini. Étrange planète.





Jacques Duffourg

 

 

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