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Hoffmann et les femmes

Liège
Opéra royal de Wallonie
11/19/2023 -  et 21, 23, 26, 28, 30 novembre, 2 décembre 2023
Jacques Offenbach : Les Contes d’Hoffmann
Arturo Chacón‑Cruz (Hoffmann), Jessica Pratt (Olympia, Antonia, Giulietta, Stella), Erwin Schrott (Lindorf, Coppélius, Docteur Miracle, Dapertutto), Julie Boulianne (La Muse, Nicklausse), Luca Dall’Amico (Luther, Crespel), Vincent Ordonneau (Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio), Samuel Namotte (Hermann), Valentin Thill (Spalanzani), Julie Bailly (La Voix de la mère), Roger Joakim (Schlemil), Jonathan Vork (Nathanaël)
Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie-Liège, Denis Segond (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie-Liège, Giampaolo Bisanti (direction musicale)
Stefano Poda (mise en scène, décor, costumes, lumières, chorégraphie)


(© ORW‑Liège/Jonathan Berger)


Suite de la saison à l’Opéra royal de Wallonie avec une coproduction créée à Lausanne en 2019. Notre confrère avait été impressionné par le dispositif de cette mise en scène des Contes d’Hoffmann (1881), et nous le sommes aussi. Stefano Poda, qui a réglé, en véritable démiurge, non seulement la mise en scène, mais aussi le décor, les costumes, les lumières et la chorégraphie, avec l’aide, tout de même, d’un collaborateur, a imaginé un gigantesque cabinet de curiosités, formé de multiples œuvres d’art, essentiellement des statues, de tailles et de natures différentes. Cet espace raffiné symbolise ce qui constitue la vie d’Hoffmann qui cherche à en comprendre le sens à travers l’art. Le metteur en scène développe une conception assez originale, du moins intéressante, de cet opéra. A travers ce spectacle d’une grande cohérence esthétique, il nous invite aussi à trouver ce qui relie secrètement les choses, comme il l’explique dans ses notes d’intention sophistiquées.


Plus que le centre pivotant du plateau, qui représente tantôt la chambre d’Hoffmann, tantôt un disque vinyle, tantôt une roulette, l’idée marquante demeure la multiplication d’Olympia, Antonia et Giulietta en différentes femmes enfermées dans des blocs mobiles et semi-transparents. Cela a du sens dans cette proposition mais pourrait déplaire aux féministes les plus acharnés et même choquer les aficionados les plus radicaux de Maria Callas, Renata Tebaldi et Mirella Freni, entre autres grandes chanteuses dont le nom, comme celui de la mère d’Antonia, figure sur ces vitrines, accompagné des années de leur naissance et de leur mort. C’est ainsi que toutes ces femmes – poupées, chanteuses, courtisanes – sont exposées telles des objets de convoitise. Stefano Poda ne mise heureusement pas seulement sur la dimension visuelle et philosophique de sa mise en scène, par ailleurs fluide et respectueuse de l’essence de l’œuvre : il dirige les chanteurs avec suffisamment d’habilité, obtenant d’eux des personnages crédibles, bien caractérisés.


Comme l’Opéra royal de Wallonie n’a pas réuni une distribution entièrement francophone, il faut accepter, pour les rôles importants, d’entendre des accents plus ou moins prononcés. Tout le monde, cependant, veille à la diction. Dans le rôle‑titre, Arturo Chacón‑Cruz affiche suffisamment de charisme et de présence pour convaincre, et même séduire, dans ce personnage dans lequel il s’investit sans compter. La voix sonne avec vigueur et expressivité, en phase avec la psychologie de ce héros exalté et tourmenté. Le ténor mexicain devrait incarner un assez convaincant Don José en juin prochain. En janvier dernier, Jessica Pratt livrait une belle prestation en Amina. Le public la retrouve cette fois pour un quadruplé, puisqu’elle incarne, comme c’est souvent l’usage, les rôles d’Olympia, Antonia, Giulietta et Stella, autant d’occasions d’arborer une solide technique, même si une légère fatigue se perçoit à la fin – précision des vocalises, raffinement du phrasé, maitrise des sons filés. La virtuosité sans esbroufe de cette belle soprano se détache clairement mais un peu au détriment de l’expression, un peu trop neutre, bien que cela s’explique en partie par les directives du metteur en scène. D’Erwin Schrott, fort à l’aise dans les rôles de Lindorf, Coppélius, Docteur Miracle et Dapertutto dont il se délecte, parfois en les surjouant à la limite de la caricature, il faut surtout retenir la forte présence et le bon jeu d’acteur. La voix paraît, en effet, un peu trop brute, voire engorgée, et le chant ne possède pas tout à fait le raffinement attendu. Le baryton-basse uruguayen ne dévalorise cependant pas le plateau, bien au contraire.


Le chant de Julie Boulianne semble tout d’abord, dans le prologue, quelque peu voilé, voire incertain, avant de gagner en netteté et en intensité, réussissant finalement haut la main son interprétation de Nicklausse. Valeur sûre à Liège, où il chante souvent, Luca Dall’Amico ne rencontre aucune difficulté à convaincre en Luther et surtout en Crespel, tandis que Vincent Ordonneau concilie avec une certaine aisance les exigences, tant vocales qu’expressives, des rôles d’Andrès, Cochenille, Frantz et Pitichinaccio. Nous gardons aussi en mémoire, moins l’Hermann de Samuel Namotte, un personnage un peu négligé dans cette mise en scène, que le superbe Spalanzani, chanté avec style et vigueur, de Valentin Thill et la touchante mère d’Antonia de Julie Bailly, crédible comme dans tous les autres rôles secondaires qu’elle a eu l’occasion de chanter sur cette scène. Roger Joakim, qui complète toujours soigneusement les distributions à Liège, reste fidèle à sa réputation en Schlemil, tandis qu’en Nathanaël, Jonathan Vork attire, une fois de plus, notre attention par l’impact de ses interventions et le sérieux de son métier, deux mois après sa remarquable intervention dans Idoménée. Ce membre des chœurs, par ailleurs correctement préparés par Denis Segond, possède assurément du potentiel pour évoluer dans des rôles plus importants.


L’orchestre sonne admirablement, malgré l’une ou l’autre intervention moins plaisante dans les bois et les cuivres. La direction détaillée de Giampaolo Bisanti prête attention à la narration, aux différentes atmosphères, aussi à la clarté et à l’équilibre avec le plateau, le plus souvent satisfaisant. Chef et orchestre valorisent ainsi l’écriture inventive et maîtrisée du compositeur. Le meilleur spectacle à l’Opéra royal de Wallonie depuis le début de cette saison.



Sébastien Foucart

 

 

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