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Sois belle et tais-toi !

Bordeaux
Opéra
11/08/2023 -  et 13, 15 octobre (Avignon), 10, 12 novembre (Bordeaux) 2023, 26, 28, 30 janvier 2024 (Nice)
Antonín Dvorák : Rusalka, opus 114, B. 203
Ani Yorentz (Rusalka), Wojtek Smilek (L’Ondin), Cornelia Oncioiu (Jezibaba), Tomislav Muzek (Le Prince), Irina Stopina (La Princesse étrangère), Fabrice Alibert (Le garde forestier), Clémence Poussin (Le garçon de cuisine), Mathilde Lemaire, Julie Goussot, Valentine Lemercier (Nymphes)
Chœurs de l’Opéra national de Bordeaux, Salvatore Caputo (chef des chœurs), Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Domingo Hindoyan (direction musicale)
Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil/Le Lab (mise en scène, scénographie, costumes), Rick Martin (lumières), Pascal Boudet, Thimothée Buisson (vidéo), Luc Bourrousse (dramaturgie)


(© Eric Bouloumié)


A l’instar de nombreux ouvrages de Leos Janácek montés en France depuis les années 2000, le chef‑d’œuvre lyrique de Dvorák a enfin pris la place qu’il mérite dans notre pays, entre les créations parisienne en 2002 et toulousaine en 2022 : Rusalka va cette fois être découvert lors d’une vaste coproduction initiée par la région Sud (réunissant les opéras de Nice, Toulon, Marseille et Avignon), à laquelle vient s’adjoindre Bordeaux. C’est là une idée heureuse, tant cette adaptation du conte La Petite Sirène n’en finit pas de séduire petits et grands, autour de l’imagination mélodique inépuisable de Dvorák.


La variation des atmosphères qui irrigue l’ouvrage n’est malheureusement qu’imparfaitement rendue par Domingo Hindoyan, entre tempo ralenti à l’excès dans les sombres parties marines (le plus souvent dévolues à l’Ondin), tout en peinant à mettre en valeur la poésie de la mélancolie de Rusalka, au début. L’acte II le voit à son meilleur, en empoignant les forces de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine avec engagement, au service d’un bel élan dramatique. Si les chœurs assurent bien leur partie, le plateau vocal réuni montre davantage de disparités. Ainsi de la Rusalka d’Ani Yorentz, qui survole tout en facilité l’aigu en puissance, mais déçoit dans les parties plus intimistes, faute d’une technique plus affermie pour maîtriser précisément son instrument. On lui préfère le Prince de Tomislav Muzek, qui fait l’étalage de phrasés d’une grande classe, autour d’une émission souple et naturelle, un rien trop étroite dans le suraigu. A l’inverse du rôle‑titre, la projection reste toutefois trop modeste, notamment dans le duo final, pour nous emporter pleinement. La révélation vocale de la soirée revient à Cornelia Oncioiu (Jezibaba), qui donne une leçon de mordant et d’intention, le tout parfaitement mis en valeur par son aisance sur toute la tessiture. On aime aussi, malgré un timbre un peu terne, l’aplomb et l’investissement scénique de Wojtek Smilek (L’Ondin), tout comme la superlative Irina Stopina (La Princesse étrangère), aux aigus rayonnants. Les autres rôles se montrent tous réjouissants, donnant beaucoup de relief aux scènes secondaires : particulièrement bien assortis, Fabrice Alibert (Le garde forestier) et Clémence Poussin (Le garçon de cuisine) s’imposent comme deux chanteurs à suivre, tandis que les trois nymphes, interprétées par Mathilde Lemaire, Julie Goussot et Valentine Lemercier, rivalisent de piquant, d’agilité et de brio.


Il est dommage que la scénographie imaginée par Jean‑Philippe Clarac et Olivier Deloeuil relègue trop souvent les chanteurs en arrière‑scène, au détriment de leur projection (voir notamment la production de Peer Gynt à Limoges en 2017, où nous avions déjà fait semblable reproche). Fort heureusement, le décor unique est revisité astucieusement pendant les trois actes, tout en bénéficiant des nombreuses projections vidéo dédiées à la natation synchronisée : l’idée du collectif Le Lab est en effet de mettre en miroir le destin de Rusalka avec l’injonction à la féminité et à la performance qui régissent encore les femmes de nos jours, dont les sportives. Les allers‑retours audacieux entre les deux temporalités séduisent par leur à‑propos dramatique, même si certains aspects initiatiques du conte (dont la peur de la sexualité) ne sont pas abordés. L’humour du Lab transparait aussi dans l’apparence de certains personnages, l’Ondin prenant les traits de l’entraîneur Philippe Lucas, tandis que Jezibaba se voit déguisée en femme de ménage, bien éloignée des artifices de la magie : femme pragmatique et sûre d’elle, la « sorcière » est ainsi le double inversé de la superficielle et immature Rusalka. On aime aussi quelques idées fortes, comme la violence initiale du Prince vis‑à‑vis de Rusalka ou encore sa volonté de contrition, avant le duo final, lorsqu’il apparaît les yeux bandés, un poisson dans la bouche. Une proposition originale qui donne toute son actualité au conte, même si elle n’en exploite pas les multiples facettes.



Florent Coudeyrat

 

 

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