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The lush orchestra

Baden-Baden
Festspielhaus
11/05/2023 -  
Sergei Rachmaninov : Danses symphoniques, opus 45 – Symphonie n° 3, opus 44
The Philadelphia Orchestra, Yannick Nézet‑Séguin (direction)


Y. Nézet‑Séguin (© Todd Rosenberg)


Pour leur « 2023 Europe Tour », avec trois programmes différents entièrement consacrés à Sergei Rachmaninov, incluant l’intégrale des trois Symphonies, les Danses symphoniques, la Rhapsodie sur un thème de Paganini et le Quatrième Concerto pour piano, avec Daniil Trifonov, le Philadelphia Orchestra et son directeur musical Yannick Nézet‑Séguin ont vu grand. En tout cas, le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Rachmaninov paraît une excellente affaire, puisque ces concerts entièrement consacrés au compositeur russe, au risque assumé d’une certaine satiété, se sont tous très bien vendus. Le Festspielhaus de Baden‑Baden, parfois confronté à certaines difficultés de remplissage de sa vaste salle, et qui avait même pris le risque de programmer non pas deux soirées seulement, comme à Luxembourg, Paris et Hambourg, mais bien trois concerts consécutifs, ne s’attendait pas forcément à un tel succès. A fortiori pour ce dernier volet du cycle, au programme un peu moins attrayant, le pianiste Daniil Trifonov n’y apparaissant pas.


Il est vrai que si les orchestres russes peuvent revendiquer une certaine légitimité dans ce répertoire, c’est sans doute bien plus encore le Philadelphia Orchestra qui peut se targuer d’une affinité historique toute particulière avec Rachmaninov, le programme de cette tournée ne comportant d’ailleurs pas moins de quatre œuvres créées à Philadelphie en première mondiale, sous les baguettes de Leopold Stokowski, pour le Quatrième Concerto pour piano (1927), la Rhapsodie sur un thème de Paganini (1934) et la Troisième Symphonie (1936) et d’Eugene Ormandy pour les Danses symphoniques (1941).


Et puis, de toute façon, il est impossible de résister aux sortilèges de l’un des orchestres les plus fascinants de la planète. Car s’il est clair que chacun des « big five » américains (Boston, Chicago, Cleveland, New York et Philadelphie) possède une identité un peu différente, c’est sans doute, en terme de luxe et de distinction sonores, le Philadelphia Orchestra qui reste le plus époustouflant. La subtilité de l’étagement des plans, la fusion idéale des timbres, la finesse du grain des cordes, la noblesse des cuivres, fermes, ronds, jamais clinquants, tout cela tient de la pure magie, a fortiori quand l’acoustique très fine du Festspielhaus de Baden‑Baden n’en laisse pas perdre une miette.


Peut‑on reprocher à Yannick Nézet‑Séguin de se laisser tellement fasciner par cette orgie de sonorités extra‑lush qu’il peut risquer occasionnellement de s’y complaire un peu trop, en se laissant déborder ? C’est parfois ce qu’on ressent après l’entracte, le premier mouvement de la Troisième Symphonie ayant tendance à se disperser en épisodes épars, encore qu’invariablement somptueux. Certes tout fascine, à commencer par le mystérieux alliage du début (un cor, les clarinettes, et un seul violoncelle), aux sonorités tellement bien imbriquées, sans couture, qu’on n’entend plus ici qu’une seule chimère instrumentale, totalement étrange, mais la ligne directrice prend ensuite assez souvent le risque de se perdre en route. Tout est splendide, les cordes peuvent vous emporter dans des effusions mélodiques irrésistibles, et puis tout à coup le discours change, bifurque vers autre chose, voire déconcerte. Ces incessantes ruptures de climat, d’une nervosité souvent audacieuse, gagneraient peut-être à davantage de rectitude et à des tempi plus vifs pour qu’une réelle cohérence apparaisse. On garde en mémoire l’interprétation de Riccardo Chailly et de l’Orchestre philharmonique de Berlin, dans cette même salle en 2015, d’une meilleure lisibilité, du fait d’intuitions dramatiques constamment géniales. Le problème se pose moins pour l’Adagio, où les fastes sonores de Philadelphie se suffisent à eux‑mêmes, surclassant d’ailleurs d’assez loin la phalange berlinoise. Cor, flûte, clarinette basse, harpes, célesta... les couleurs sont ensorcelantes, l’ambiance est hollywoodienne à souhait, mais tout reste aussi d’un goût parfait. Et l’apothéose de l’Allegro final, impeccablement menée par Yannick Nézet‑Séguin par paliers successifs, achève de nous en mettre plein les oreilles.


En première partie, Yannick Nézet‑Séguin paraît en revanche idéalement en phase avec les Danses symphoniques, l’ultime partition de Rachmaninov. Ces trois pièces devaient s’appeler initialement Danses fantastiques et c’est bien ce que l’on ressent, en écoutant ces trois fantasmagories orchestrales menées de main de maître. Jeux de masques, figures étranges et grimaçantes à la James Ensor, effusions subites, chocs de couleurs, le chef canadien compose trois tableaux aussi impressionnants par leur effet d’ensemble que par la multiplicité des détails qu’on peut y admirer à chaque instant. La valse cauchemardesque de l’Andante con moto est tout particulièrement bien restituée, déhanchée, languide. Et puis, bien sûr, il y a l’enivrant solo de saxophone du premier volet, éclaircie mélancolique espérée avec toujours avec autant d’impatience, et qui comble nos attentes : tout simplement sublime !


Après s’être beaucoup dépensé physiquement, mais toujours en parfaite connivence avec l’orchestre, pour en obtenir exactement l’intensité musicale qu’il souhaite, et non pas pour produire un quelconque effet sur la salle, une qualité qu’on apprécie tout particulièrement chez lui, Yannick Nézet‑Séguin remercie le public pour sa persévérance – certains dans la salle viennent effectivement d’ingurgiter trois programmes Rachmaninov en trois jours, ce qui n’est pas rien !  – et annonce un bis judicieusement choisi : le Prélude en do dièse mineur de Rachmaninov orchestré par Leopold Stokowski. D’innombrables pianistes se sont échinés à restituer, au fil de cette succession d’accords grandioses tout un monde de religiosité sombre, de sonneries de cloches, de tumultes à la fresque, mais là, tous se retrouvent battus à plates coutures, par cette orchestration luxuriante, les accords arpégés de la fin prenant même d’étranges couleurs barbares dignes de Moussorgsky. Et là encore, quel orchestre ! Non, décidément, le Philadelphia Sound n’est pas qu’une légende. Il est toujours d’actualité.



Laurent Barthel

 

 

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