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Netrebko assoluta

Baden-Baden
Festspielhaus
07/21/2023 -  
Giuseppe Verdi : Airs et ensembles extraits de Macbeth, Rigoletto, Attila, La forza del destino, Il trovatore, Don Carlo et Aida
Anna Netrebko (soprano), Elena Zhidkova (mezzo‑soprano), Yusif Eyvazov (ténor), Carles Pachón (baryton)
Würth Philharmoniker, Claudio Vandelli (direction)


C. Vandelli, A. Netrebko (© Andrea Kremper)


Porte d’accès principale au Festspielhaus fermée à double tour et mesures de sécurité renforcées, pour ce concert d’Anna Netrebko à Baden‑Baden, qui n’est clairement pas du goût de tout le monde. Sur le parvis, une forte délégation de solidarité avec l’Ukraine occupe le terrain, brandissant des pancartes choc évoquant les horreurs de la guerre, voire des slogans vindicatifs à l’égard de la culture russe. Atmosphère relativement bon enfant (on chante, on joue du violon...) mais qui aurait pu dégénérer, certains membres du public, contraints de pénétrer dans le Festspielhaus par les seules entrées latérales, et sous les quolibets – « Schande, Schande » ( (« Honte, honte ! »), se révélant parfois relativement agressifs en réaction. Baden‑Baden héberge une forte communauté russe dont l’attitude face au conflit actuel reste trouble, ce qu’on ressent ici assez nettement.


Cela dit, au moins à l’intérieur d’un Festspielhaus plein à craquer, ce concert n’est pas du tout perturbé. Et puis, de toute façon, dénoncer la culture russe comme un vecteur du conflit actuel mélange un peu tous les problèmes, sans grand discernement, a fortiori à l’occasion d’un concert entièrement consacré... à l’Italien Giuseppe Verdi ! La guerre en Ukraine est ce qu’elle est, absurde, monstrueuse, injustifiable, mais le fait qu’aujourd’hui Anna Netrebko se déplace depuis Vienne, où elle habite, pour nous chanter Verdi (et quand bien même ce serait Tchaïkovski ou Moussorgski !) n’y changera certainement rien, ni dans un sens, ni dans l’autre. En définitive, à tout ce remue‑ménage protestataire, même nourri à l’évidence de bonnes intentions, on préfère le courageux et sympathique petit groupe de personnes, plutôt âgées et allemandes, qui s’est posté en amont, avec des pancartes d’une autre teneur : « Herzlich Willkommen, Anna Netrebko », « Musik ist Medizin », « Viva la musica ». Effectivement, en ce moment, la musique aide à vivre.


Pour son air d’entrée, Anna Netrebko n’a de toute façon pas choisi de faire profil bas. Lady Macbeth est un personnage qui n’a rien de sympathique, et l’entrée de la diva russe, à pas décidés, toutes voiles dehors, dans une impressionnante robe longue gris bleu à larges manches qui lui donne l’air d’un oiseau de proie, est plutôt glaçante. Depuis les débuts d’Anna Netrebko dans ce rôle, il y a presque dix ans déjà, la voix a pris encore beaucoup d’ampleur, ce qui lui permet aujourd’hui d’assumer plus crédiblement cet emploi de mégère, sans pour autant en distordre un instrument qui reste d’une sidérante beauté. La projection naturelle de la voix est considérable, remplissant tout le volume du Festspielhaus sans aucun effort, la tessiture est homogène du haut en bas, le poitrinage des notes les plus basses restant dans les strictes limites du bon goût, l’aigu est lumineux, pulpeux, soutenu, doté d’une appréciable personnalité. De fait, on ne voit pas, dans le paysage actuel, quelle autre soprano pourrait rivaliser avec autant de qualités. Seul défaut chronique : une relative mollesse d’articulation, avec quelque chose de trop amorti dans le placement de l’émission, ce qui amoindrit les reliefs. Derrière la perfection formelle, il nous manque toujours un rien de conviction, de brasier intérieur... Mais à ce stade de la carrière d’Anna Netrebko, cela ne changera certainement plus.


Lady Macbeth autoritaire, Leonora de La Force du destin plutôt bien incarnée, avec un cahier des charges vocal impeccablement respecté, mais un destin pas vraiment vécu, les mots « Fatalità, fatalità » témoignant bien de cette sous‑caractérisation (écouter Anita Cerquetti ou Julia Varady pour comprendre de quoi il peut s’agir), délicieuse scène du Trouvère où l’aigu se déploie en une succession de perles d’une eau parfaite, et suprême scène finale d’Aïda, bénéficiant là encore d’un timbre extrêmement bien nourri. Même Gilda, au cours d’un quatuor de Rigoletto plutôt routinier où on n’écoute qu’elle, s’en sort encore avec les honneurs. Donc, clairement, chapeau bas à la diva !


Autour d’elle, vraiment rien du même niveau. Yusif Eyvazov est, comme souvent, du voyage, avec son timbre incisif, son souffle d’une belle longueur, mais aussi son impavidité. Une voix de ténor puissante mais sans rondeur, et vite lassante, comme si tout ce qu’elle avait à offrir était définitivement révélé, et classé, en deux minutes. Là aussi une belle polyvalence, son Duc de Mantoue, de Rigoletto , qui requiert une voix plus légère, fonctionnant encore bien, même si aujourd’hui c’est plutôt son Alvaro de La Force du destin (aucune fatigue dans « La vita è inferno all’infelice », mais si peu de passion !) ou son Radamès qui peuvent nous faire de l’usage. Mais de toute façon, ce n’est certainement pas pour lui seul que l’on se déplacerait.


Encore un peu timide, le baryton catalan Carles Pachón a peut‑être davantage de potentiel. Son Conte di Luna ou son Marchese di Posa font dresser l’oreille, même si le timbre est encore vert. En revanche, triste déception avec Elena Zhidkova, dont on avait pourtant pu entendre à Bayreuth en 2019 une Vénus de Tannhäuser plutôt énergique, et qui là paraît en totale méforme. Ni Amneris ni Maddalena de Rigoletto ne font la moindre impression ; quant à « Stride la vampa » du Trouvère, c’est même un moment pénible, la mezzo russe paraissant tristement dépassée, avec des moyens devenus inexplicablement fluets.


Accompagnement sans histoire de Claudio Vandelli, qui sait escorter des chanteurs avec une compétence indiscutable, à la tête d’une Phiharmonie Würth de belle tenue. Mais, à l’évidence, toute cette soirée qui se veut prestigieuse ne repose en fait que sur les seules épaules d’Anna Netrebko, laquelle assume cette responsabilité sans jamais faillir, ni même broncher.



Laurent Barthel

 

 

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