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La Capitale d’Eté, Saison 2

Baden-Baden
Festspielhaus
06/30/2023 -  et 1er*, 7*, 8*, 9* juillet 2023

30 juin 2023 - et 22 (New York), 27 (Paris) juin 2023
Leonard Bernstein : Danses symphoniques de West Side Story
Matthew Aucoin : Heath (King Lear Sketches)
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Roméo et Juliette
Giuseppe Verdi : Otello (Acte IV)

Angel Blue (Desdemona), Russell Thomas (Otello), Deborah Nansteel (Emilia), Errin Duane Brooks (Cassio), Michael Chioldi (Jago), Richard Bernstein (Lodovico), Adam Lau (Montano)
The Met Orchestra, Yannick Nézet-Séguin (direction)

1er juillet 2023 – et 16  (New York), 28 (Paris) juin 2023
Hector Berlioz : Le Corsaire, opus 21 – Les Troyens : « Chers Tyriens », Chasse Royale et Orage & « Adieu, fière cité » – Symphonie fantastique, opus 14
Joyce DiDonato (mezzo-soprano)
The Met Orchestra, Yannick Nézet-Séguin (direction)



Y. Nézet‑Séguin, A. Blue, R. Thomas (© Andrea Kremper)


En juillet 2022, alors que le Festspielhaus de Baden‑Baden sortait d’une longue période de fermeture totale pour cause de crise sanitaire, Yannick Nézet‑Séguin et l’Orchestre de Chambre d’Europe avaient créé là un festival d’un format relativement réduit, mais très innovant. Sous l’intitulé « La Capitale d’Eté », il s’agissait de recréer un peu de l’ambiance musicale et lettrée de la ville thermale de Baden‑Baden au XIXe siècle. Effectivement une véritable « capitale d’été » de la culture, Johannes Brahms, Clara Schumann, Hector Berlioz, Pauline Viardot, apparaissant ici en tête d’affiche, mais avec dans leur sillage encore bien d’autres personnalités d’importance.


Un an plus tard Yannick Nézet‑Séguin est revenu, mais cette fois avec deux orchestres. D’abord « son » Orchestre du Met de New York , pour les deux derniers concerts d’une brève tournée européenne, après Paris et Londres, et puis à nouveau, au cours d’un second week‑end, le Chamber Orchestra of Europe, pour la suite du projet Brahms/Farrenc initié l’été dernier.


Des deux concerts de l’Orchestre du Met de New York, qui reprennent exactement les mêmes programmes que ceux donnés à la Philharmonie de Paris quelques jours plus tôt, bis inclus, on retient surtout la première partie du second, une sorte de « trilogie shakespearienne » portée par son chef jusqu’à des paroxysmes émotionnels époustouflants. Les Danses symphoniques de West Side Story tout d’abord, où les musiciens new‑yorkais sont certes dans leur élément, mais surtout stimulés par Yannick Nézet‑Séguin avec une gouaille, un sens du rebond rythmique voire du lyrisme sirupeux juste comme il faut, qui font mouche à tous les coups. Ensuite Heath (King Lear Sketches) du jeune compositeur américain Matthew Aucoin, musique écrite pour l’orchestre avec une véritable technicité. Une suite d’atmosphères bien caractérisées, mais où les ombres de John Williams ou de Bernard Herrmann passent parfois de façon un peu trop appuyée. Mais qu’importe, puisqu’ici on cherche simplement à mettre en valeur une belle mécanique instrumentale, sans chercher à trop la violenter. Et puis surtout, en apothéose, un Roméo et Juliette de Tchaïkovski incandescent, où la petite silhouette du chef se dépense physiquement jusqu’à emporter littéralement tout l’orchestre dans une étreinte torride, le grand thème d’amour restant ici l’une des plus belles transes collectives que l’on ait pu vivre au concert depuis fort longtemps.


En seconde partie de cette soirée un peu hétéroclite, l’orchestre se retrouve dans son élément plus coutumier avec le quatrième acte d’Otello de Verdi, sans la Desdémone de Renée Fleming, qui s’est désistée (et n’a pas chanté non plus, deux jours plus tôt, le récital où Yannick Nézet‑Séguin devait l’accompagner au piano), et en guise de consolation une Angel Blue à la voix certes généreuse et sûre, mais à contre‑emploi, sans aucune des fragilités diaphanes qui devraient rendre le rôle émouvant. Ici, on n’y croit guère, alors même qu’en face l’Othello massif et claironnant de Russell Thomas fait pourtant véritablement peur. On se console avec l’orchestre, qui devient un véritable personnage, caractérisé par le chef jusque dans ses plus infimes détails, et sujet aux emportements les plus sanguins avec une immédiateté dont seules les phalanges d’opéra sont vraiment capables.


Un sens du détail qui fait aussi le prix, le premier soir, d’une Symphonie fantastique toutefois un peu éparpillée, où la grande ligne se dissout dans les méandres du premier mouvement (« Rêverie-Passions »), au risque de semer en route un public qui n’est pas forcément familier de l’ouvrage. L’orchestre non plus d’ailleurs, avec une personnalité sonore très américaine et percutante qui rend Berlioz encore plus sec nerveux que d’habitude. L’adéquation avec les deux derniers mouvements paraît meilleure, même si la « Marche au supplice » rutile davantage qu’elle ne nous ébranle. La « Scène aux champs », élégamment phrasée, séduit en revanche totalement, ne serait-ce qu’à cause du cor anglais véritablement magique de Pedro Díaz. Et puis, bien sûr, même si on peut toujours discuter ici ou là du résultat, l’énergie de Yannick Nézet‑Séguin paraît vraiment dans son élément dans cette œuvre, de même que dans la vibrionnante ouverture Le Corsaire de début de concert, où les cordes suivent la battue du chef, d’entrée très agitée, avec une impeccable sûreté.


Seconde partie à nouveau opératique, avec trois extraits des Troyens, où l’on retrouve Joyce DiDonato, qui a enregistré à Strasbourg l’intégralité du rôle de Didon, en 2017. Six ans plus tard, les moyens de la mezzo‑soprano américaine restent considérables, voire d’une fulgurante autorité dans la mort de Didon, avec des accents dont la raucité impressionne. Mais l’émail de la voix s’est terni, et puis surtout la diction s’est beaucoup relâchée, au point de cantonner la plupart des tirades tragiques de la Reine de Carthage à une relative abstraction.


7 juillet 2023
Johannes Brahms : Symphonies n° 3 en fa majeur, opus 90, et n° 4 en mi mineur, opus 98
Chamber Orchestra of Europe, Yannick Nézet‑Séguin (direction)


8 juillet 2023
Johannes Brahms : Quintette pour clarinette et cordes en si mineur, opus 115 – Quintette pour piano et cordes en fa mineur, opus 34
Romain Guyot (clarinette), Lorenza Borrani, Maia Cabeza (violon), Nimrod Guez (alto), Will Conway (violoncelle), Yannick Nézet‑Séguin (piano)


9 juillet 2023
Johannes Brahms : Akademische Festouvertüre, opus 80 – Concerto pour violon en ré majeur, opus 77
Louise Farrenc : Symphonie n° 1 en ut mineur, opus 32
Lisa Batiashvili (violon)
Chamber Orchestra of Europe, Yannick Nézet‑Séguin (direction)



Y. Nézet-Séguin (© Andrea Kremper)


Les musiciens du Met repartis, la suite de « La Capitale d’Eté » redevient plus intime, avec la suite du projet Brahms/Farrenc de l’Orchestre de chambre d’Europe. Des Troisième et Quatrième Symphonies à propos desquelles on pourrait reprendre mot pour mot les impressions de l’année dernière : une transparence idéale, qui permet de suivre chaque ligne, mais aussi un relatif déficit en ampleur, du fait d’un effectif de cordes trop réduit et jouant de surcroît avec peu de vibrato. Quatre contrebasses paraissent vraiment insuffisantes à certains moments stratégiques de la Quatrième Symphonie, et la plupart des interventions des cuivres, même prudentes, entraînent des déséquilibres immédiats. Mais ce Brahms‑là recèle aussi d’ineffables beautés, en particulier dans l’Andante et le Poco Allegretto de la Troisième et dans l’Andante moderato de la Quatrième, Yannick Nézet‑Séguin prenant un plaisir gourmand à souligner l’élégance des lignes d’une petite harmonie en état de grâce (le hautbois de Philippe Tondre, la clarinette de Romain Guyot, la flûte de Clara Andrada, le basson de Rie Koyama : ceux‑là peuvent absolument tout se permettre sur le plan expressif, au service d’un Brahms d’une indicible poésie).


Mêmes conciliabules brahmsiens au sommet deux jours plus tard, mais cette fois en compagnie du violon solo de Lisa Batiashvili, pour un Concerto pour violon idéal. Par l’ampleur et la sûreté du jeu de la soliste, très « ancienne manière », avec un archet lourd qui fait sonner l’instrument avec un maximum d’harmoniques, mais aussi par les parfaits équilibres ménagés par le chef, qui veille à chaque détail tout en gardant un sens très sûr de la progression, dans ce concerto où tous les thèmes s’imbriquent en de savantes constructions récurrentes. La comparaison avec l’enregistrement de 2012, où Lisa Batiashvili, non moins impériale, bénéficiait d’un accompagnement tout aussi luxueux (la Staatskapelle de Dresde) mais beaucoup plus conventionnel (Christian Thielemann), est assez éloquente, la constante vivacité du chef canadien apportant ici une réelle plus‑value. A noter, à la fin du premier mouvement, la même cadence peu usuelle que sur le disque : celle, très pertinente, de Ferruccio Busoni, qui fait aussi la part belle au timbalier (l’inamovible vétéran John Chimes, toujours aussi vigoureux quand il le faut, et à d’autres moments subtil, sur ses timbales « viennoises » au son particulier).


Fin de ce projet Brahms mais aussi de l’intégrale des symphonies de Louise Farrenc, avec la Première, datée de 1842. Une symphonie encore moins bien connue que les deux autres, mais pas négligeable, dans sa tonalité tourmentée d’ut mineur qui lui donne un côté très Sturm und Drang. Beaucoup d’effets de surprise, une façon élégante de faire attendre les mélodies les plus prégnantes, mais encore et toujours une tendance à délayer l’inspiration au fil de longues pages d’une écriture plutôt savante, jamais banale, mais un peu uniforme. Là encore on peut penser que Yannick Nézet‑Séguin fait vraiment l’impossible pour hausser cette musique à un niveau supérieur, et parfois y parvient. Notamment dans l’Adagio cantabile, à première vue une mélodie plutôt simple, aux allures d’Intermezzo schubertien, mais restituée avec une telle science dans l’étagement des plans que s’en dégage un véritable lyrisme, paré d’étranges couleurs berlioziennes.


Yannick Nézet‑Séguin toujours en homme‑clé, pour le concert de musique de chambre donné par quatre membres de l’Orchestre de chambre d’Europe. Des cordes qui, livrées à elles‑mêmes, ne paraissent ni très sûres ni très à l’aise dans le Quintette pour clarinette, Romain Guyot brillant ici un peu seul. Mais tout change avec le Quintette avec piano, où non seulement Yannick Nézet‑Séguin maîtrise bien sa partie (sans effets d’esbroufe pianistique mais avec un très solide sens architectural), mais parvient de surcroît à entraîner vigoureusement l’ensemble, pour un résultat beaucoup plus convaincant. Là encore un concert un peu inégal mais où les merveilles surabondent, un peu comme à toutes les étapes de ces cinq soirées, toutes mémorables.


Ce festival sera réitéré en juillet 2024, avec de nouveaux projets dont Yannick Nézet‑Séguin nous réserve encore la surprise (le programme sera publié en octobre prochain), cette « Capitale d’Eté » de Baden‑Baden s’affirmant progressivement comme l’une des propositions festivalières les plus originales et stimulantes du moment. Qu’on se le dise !



Laurent Barthel

 

 

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