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Génie versus routine

Baden-Baden
Festspielhaus
06/04/2023 -  
Richard Wagner : Parsifal : Prélude de l’acte I – Acte III
Franz Liszt : Concerto pour piano n° 2 en la majeur

Andreas Schager (Parsifal), Kwangchul Youn (Gurnemanz), Iain Paterson (Amfortas), Sabine Staudinger (Kundry), Alexandre Kantorow (piano)
Chor des Bayerischen Rundfunks, Stellario Fagone (chef de chœur), SWR Symphonieorchester, Pablo Heras‑Casado (direction)


P. Heras‑Casado (© Andrea Kremper)


Invité régulier de l’Orchestre symphonique du SWR, le chef espagnol Pablo Heras‑Casado donne l’impression d’en contrôler assez bien les rouages, du moins lorsqu’il s’agit d’accompagner notre compatriote Alexandre Kantorow dans le Second Concerto de Liszt. L’emprise sur la petite harmonie est patente, avec des phrasés souples et une véritable incitation à l’écoute mutuelle. Cette transparence et cette interactivité prévalent aussi pour les dialogues avec le soliste : une exécution d’une belle clarté, proche de la musique de chambre, ce qui n’exclut pas de subits éclats et foucades, d’une ampleur qui reste très romantique.


L’entente entre le chef et le soliste paraît bonne, ce qui permet à la fois de garder une véritable cohésion et de quand même laisser l’initiative à un pianiste dont la maîtrise technique nous sidère toujours autant. La partition paraît à présent assimilée jusqu’à ses plus intimes recoins, mais, pour être honnête, cette aisance absolue transparaissait déjà sur le tout premier enregistrement d’Alexandre Kantorow, consacré aux Concertos de Liszt et édité par Bis en 2015 (le pianiste français n’avait alors que 17 ans !). Simplement, maintenant, quelque chose de plus noir et tourmenté paraît s’être greffé sur cet itinéraire concertant d’à peine un peu plus de vingt minutes. On se retrouve confronté à un kaléidoscope perpétuellement changeant, l’Alexandre Kantorow d’aujourd’hui paraissant de moins en moins prévisible, voire cyclothymique. En tout cas, incontestablement, on a affaire ici à un véritable fauve du piano, comme on en croise très peu de nouveaux à chaque décennie.


En bis, le « Sonetto 104 del Petrarca », extrait de la Deuxième des Années de pèlerinage de Liszt, confirme cette appréciation, l’interprétation d’Alexandre Kantorow paraissant presque improvisée, mais n’en restant pas moins construite sur la durée. Là encore l’impression de se jouer de toutes les difficultés techniques déconnecte presque cette musique de sa typologie virtuose, pour n’en garder qu’un subtil substrat poétique, jamais lourd, totalement enivrant.


Parsifal de Wagner, pour encadrer ici Liszt, ce qui reste un couplage logique, en tout cas généreux, pour cette luxueuse conclusion du Festival de Pentecôte 2023 à Baden‑Baden, avec le Prélude de l’opéra pour ouvrir le concert, et l’intégralité du troisième acte en guise de copieuse seconde partie. Là, on est évidemment curieux d’écouter Pablo Heras‑Casado aux prises avec un ouvrage avec lequel il va faire ses débuts dans la fosse de Bayreuth le mois prochain. Mais on reste un peu déçu du résultat, peut‑être aussi parce que l’instrument n’est pas le bon : un Orchestre symphonique du SWR certes moins pléthorique qu’une semaine plus tôt sous la direction de son directeur musical Teodor Currentzis, mais qui reste lourd, avec un son de cordes très saturé et des cuivres souvent intrusifs. Le chef a beau inciter constamment à la modération, sa quête de nuances et d’équilibre des plans sonores paraît trop souvent compromise par un orchestre qui n’a pas l’air de s’impliquer vraiment dans l’affaire et se laisse entraîner par sa propre inertie. L’observation des cordes est particulièrement édifiante, avec des violons qui en sont tout juste encore à tirer et à pousser à peu près ensemble, mais sans plus : une certaine négligence globale, en dépit des efforts patents d’une Konzertmeisterin qui se démène beaucoup, mais que pas grand monde ne suit. A sa décharge, il s’agit en l’occurrence de Charlotte Juillard, premier violon solo de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, parachutée là afin d’assurer un dépannage de dernière minute et qui n’a certainement pas eu le temps de s’imposer. Cela dit, l’Orchestre symphonique du SWR dispose actuellement de cinq postes d’Erster Konzertmeister pourvus, et qu’il faille en catastrophe en solliciter un supplémentaire, venu d’une formation voisine, en dit assez long sur l’état de dispersion et de sous‑emploi des musiciens de cet orchestre surdimensionné (issu, rappelons‑le, de la fusion de deux phalanges complètes) dont désormais beaucoup de membres prennent des engagements ailleurs, au point de ne plus être disponibles sur place en cas de « coup dur ». Décidément, le bilan artistique de cette arbitraire fusion d’orchestres, perpétrée en 2016, reste très lourd, avec une patente démotivation générale à la clé.


Côté solistes, on apprécie l’inusable Gurnemanz de Kwangchul Youn, 58 ans maintenant et à son actif un nombre très élevé de représentations d’un rôle qu’il pratique depuis quinze ans. Aucune routine cependant, avec toujours un timbre aussi riche, et surtout, qualité infiniment précieuse pour Gurnemanz, qui reste avant tout un « récitant », un allemand d’une parfaite clarté, qui rend superflue toute lecture du sur-titrage. L’Amfortas d’Iain Paterson est intéressant, un peu plus usé aux entournures, mais très dramatique et impliqué, même dans cette version de concert. En revanche le Parsifal d’Andreas Schager indiffère, avec une voix certes puissante et tranchante, mais un investissement du rôle qui reste très univoque, obstinément centré sur une vaillance pouvant devenir à l’occasion extrêmement criarde. Très luxueuse présence du Chœur de la Radio bavaroise, dont seuls les membres masculins sont visibles sur le podium (les dames, postées en hauteur dans le cadre de scène, n’auront pas le temps d’en descendre à la fin pour saluer), mais dont les voix ne suffisent pas à faire « décoller » un finale qui reste trop enlisé dans la glaise de l’orchestre. Somme toute, pour Pablo Heras‑Casado, une occasion manquée. Donc rendez‑vous bientôt à Bayreuth, pour en savoir davantage.



Laurent Barthel

 

 

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