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Wagner sans les mots, mais en format XXL

Baden-Baden
Festspielhaus
05/27/2023 -  et 28 mai 2023
Alexey Retinsky : Das Wasser hat keine Haare (création)
Richard Wagner : Tristan und Isolde : Prélude et Mort d’Isolde – Der Ring ohne Worte (arrangement Lorin Maazel)

SWR Symphonieorchester, Teodor Currentzis (direction)


(© Andrea Kremper)


De même que le Festival de Pâques de Baden‑Baden est depuis 2013 entièrement consacré aux concerts des Berliner Philharmoniker, en divers effectifs, de la grande formation symphonique aux concerts de musique de chambre, le Festival de Pentecôte paraît devenir maintenant le fief du SWR Symphonieorchester, basé habituellement à Stuttgart. Du 27 mai au 4 juin sont ainsi prévus trois concerts d’orchestre et trois concerts de musique de chambre, entièrement assurés par les membres de cet orchestre, dont le destin n’est toujours pas idyllique, les musiciens restant perturbés par la fusion arbitraire, en 2016, de leurs deux formations d’origine, l’Orchestre du SWR de Baden‑Baden et Fribourg et l’Orchestre du SWR de Stuttgart. Une bien triste histoire, marquée par des débuts catastrophiques, puis la nomination difficile d’un premier directeur musical (personne n’ayant trop envie de s’aventurer à ce poste, au vu de l’atmosphère délétère de cette fusion), mandat de Teodor Currentzis par ailleurs fortement perturbé par la période covid, et qui finalement s’arrêtera dès 2024...


Pour ce concert entièrement dédié à Wagner, on est surpris d’emblée par la sur‑occupation du plateau. Depuis sa fusion, l’orchestre est riche de 170 musiciens, et il faut bien réussir à faire travailler un maximum de monde, d’où sans doute cet effectif pléthorique (73 cordes, dont 11 contrebasses, 32 vents...). Mais quand même, là, on égale les plus grosses formations straussiennes ou mahlériennes.


Or malheureusement, dans le Prélude et Mort d’Isolde, l’opulence qui en résulte paraît surtout amorphe, comme si la surabondance de l’effectif empêchait les musiciens de bien s’écouter. Peu de transparence, les cordes dressant souvent une barrière difficilement franchissable devant la petite harmonie, et pas beaucoup de nervures. Cette musique frémissante s’écoule en larges flots d’eau tiède, avec certes quelques houles, mais surtout une impression générale de hors sujet, voire d’ennui. Et la battue sur‑expressive de Teodor Currentzis (dont la tenue sur le podium paraît cependant moins extravagante que d’habitude) ne parvient pas y changer grand‑chose. Comme si, à force de surcharger l’effectif, au lieu de couleurs orchestrales variées, il n’en restait en définitive qu’une seule, d’un déprimant gris mat. Au centre droit de la mêlée, une belle coulée de violoncelles parvient à émerger de temps à autre, avec à sa tête l’immuable premier violoncelle de Frank-Michael Guthmann, mais partout ailleurs le poème d’amour s’enlise fâcheusement.


Signalons auparavant, une curieuse entrée en matière, la création de Das Wasser hat keine Haare (L’eau n’a pas de cheveux – sic), commande conjointe de l’orchestre et du Festspielhaus de Baden‑Baden au compositeur ukrainien Alexey Retinsky. Un musicien né en 1986, lié par un partenariat de longue date avec l’orchestre musicAeterna de Teodor Currentzis, et dont les œuvres sont déjà documentées par une discographie relativement abondante. Des productions en général planantes et réverbérées, dans lesquelles on peine à déceler une démarche créatrice vraiment originale, mais qui savent occuper le terrain d’une musique « contemporaine » qui ne dérange pas. Avec ou sans cheveux, l’eau s’écoule ici en méandres soigneusement et longuement calibrés (la partition dure un quart d’heure), avec quelques fantômes wagnériens diffus qui peuvent occasionnellement surgir de la masse sonore pour mieux s’y redissoudre ensuite. Et puis tout se résout en une longue tenue de cordes, de laquelle émergent les violoncelles, qui jouent les première notes du Prélude de Tristan et Isolde (puisque la partition s’annonce effectivement comme un « Prélude au Prélude de Tristan et Isolde »). L’enchaînement est osé, voire polluant. En effet le silence de plusieurs secondes après les quatre et huit premières mesures de Tristan n’en est plus un, toujours coloré par les dernières réminiscences de l’œuvre précédente, la poésie de l’effet obtenu restant plutôt basique.


Pièce de résistance en seconde partie, avec l’imposant Der Ring ohne Worte (L’Anneau sans paroles), compilation de moments orchestraux de la Tétralogie réalisée en 1987 par Lorin Maazel, en vue d’un enregistrement avec les Berliner Philharmoniker, publié par Telarc. 75 minutes, soit la durée maximale d’un CD, qui résument un Tétralogie de 16 heures, en commençant par le début, en terminant par la fin, et en grappillant de multiples pages d’orchestre en cours de route. L’intérêt de l’affaire n’est pas tant qu’elle soit effectivement sans mots (avec de rares phrases chantées pouvant passer occasionnellement à un instrument d’orchestre, très peu en fait : le « Heda, Heda, Hedo » de Donner, quelques courtes répliques de Sieglinde dans La Walkyrie, quelques bribes de Fafner...), mais surtout qu’elle recentre tout l’intérêt sur le seul protagoniste du Ring qui y soit continuellement présent, même s’il reste d’habitude enfoui en fosse : l’orchestre ! Et ce montage est d’autant plus intéressant qu’il renonce à toute mesure de raccord surnuméraire, chaque note restant strictement de Wagner, les juxtapositions de séquences s’effectuant vraiment en montage cinématographique « cut ». D’excellents effets de copié/collé, tel ce coup de tonnerre de la fin de L’Or du Rhin, qui permet d’enchaîner directement sur le deuxième segment du Prélude de La Walkyrie, précédé par le même type de fracas. Il faut d’ailleurs une bonne culture wagnérienne pour identifier l’endroit exact où s’effectuent les jointures. On attend par exemple l’irruption de Loge lors des Adieux de Wotan, alors que le feu orchestral qui arrive est déjà celui qui terrorise Mime au départ du Wanderer... Tout cela très stimulant, et aussi très impressionnant, avec, à l’issue de ces 75 minutes, l’impression d’avoir véritablement parcouru un monument. Une visite certes en accéléré, mais qui n’enlève rien à la splendeur d’une création hors normes.


Toujours autant de monde sur scène pour cette seconde partie, avec même un nombre de harpes qui passe de deux à six (on doutait pourtant qu’il reste suffisamment de place sur le podium, mais finalement, on a réussi à les caser !). Teodor Currentzis se révèle un wagnérien plutôt convaincant, avec une certaine propension à la lourdeur qui contraste totalement, cela dit, avec sa tendance habituelle, plutôt nerveuse, voire frénétique. Il est vrai aussi que l’orchestre possède ce répertoire dans ses gènes, ce qui évite les contresens. Dommage simplement que les cuivres restent relativement clinquants et approximatifs, les cordes continuant par ailleurs à exercer un lourd effet d’écran, en ne lésinant pas sur le volume. Somme toute une lecture wagnérienne des plus conventionnelles, mais qui fait son effet.



Laurent Barthel

 

 

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