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De l’ébène ? Non, de l’or Normandie Deauville (Salle Elie de Brignac‑Arqana) 04/28/2023 - Richard Dubugnon : Suite séculaire
Robert Schumann : Quatuor à cordes n° 3 en la majeur, opus 41 n° 3
Ernest Chausson : Concert pour piano, violon et quatuor à cordes, opus 21 Pierre Fouchenneret (violon), Théo Fouchenneret (piano), Quatuor Ebène : Pierre Colombet, Gabriel Le Magadure (violon), Marie Chilemme (alto), Raphaël Merlin (violoncelle)
Le Quatuor Ebène (© Stéphane Guy)
Le troisième concert du festival de Pâques de Deauville comportait une affiche brillante : un chef‑d’œuvre et des artistes de renom. En effet, si le dimanche 23 avril, c’était Renaud Capuçon qui soutenait, dans l’esprit de ce festival aux missions décidément heuristiques, une cinquième génération d’interprètes, c’est le vétéran Augustin Dumay (74 ans) qui devait intervenir pour interpréter en compagnie d’un des grands quatuors du moment, le Quatuor Ebène, un chef‑d’œuvre du répertoire de musique de chambre, le Concert (1892) d’Ernest Chausson (1855‑1899) pièce qu’il avait interprétée à Deauville il y a vingt‑sept ans, lors du premier festival qu’il parrainait. Las, un malheureux accident l’en empêcha et le célèbre violoniste dut être remplacé par Pierre Fouchenneret, plus jeune quoique déjà un habitué du festival.
Auparavant, le concert avait débuté par une Suite séculaire du compositeur suisse Richard Dubugnon (né en 1968), inspirée par la trajectoire du soleil au cours de la journée et résultant d’arrangements pour quatuor de neuf extraits d’œuvres diverses de Johann Sebastian Bach. Outre le fait que le thème du déroulement de la journée avait déjà été maintes fois exploité par les compositeurs, notamment Richard Strauss, l’ensemble n’était guère frappé du sceau de l’originalité. Les arrangements avaient tendance à tout aplatir et banaliser. Certes Bach en a vu d’autres mais bon nombre de transcriptions valorisent un instrument ou ensemble d’instruments, parfois rares voire hétéroclites ou extravagants et aboutissent à fournir un éclairage nouveau ou original sur ceux‑ci ou sur les œuvres du Cantor lui‑même, quand ce n’est pas à faire sourire. Ici, ni Bach ni le quatuor à cordes ni l’humour n’y gagnent. Avec les Ebène, la perfection technique est naturellement présente mais au point de distiller une pointe d’ennui. Seule la Fugue composée à partir des lettres du nom de Bach lui‑même dans la dénomination germanique des notes (si bémol, la, do, si bécarre) surnage et parvient à convaincre. Dans cette pièce, la Fugue BWV 898 finit en effet par ressembler à la Grande Fugue de Beethoven, sous les archets d’un Quatuor Ebène paraissant finalement moins à l’aise avec le rebond baroque qu’avec le style classique ou romantique.
La démonstration était faite avec le Troisième Quatuor (1842) de Robert Schumann (1810‑1856) qui suivait et qui avait été programmé l’été dernier avec le Quatuor Hanson. Le Quatuor Ebène y est en effet plus à son avantage. On retient un deuxième mouvement plein de nervosité et presque enivrant, un troisième qui chante comme rarement et frappe au cœur et un dernier dansant, plein de fraîcheur et enjoué. La mécanique est parfaitement huilée et le Quatuor Ebène, fondé en 1999, démontre un nouvelle fois, malgré le renouvellement de ses altistes et violoncellistes, sa hauteur de vue comme sa classe.
Il maintient son haut niveau dans le Concert de Chausson, déjà entendu à Deauville mais il y a quelques lustres, en 2006 puis 2009. Il n’accompagne pas en l’occurrence de jeunes interprètes prometteurs mais déjà d’authentiques artistes confirmés, les frères Fouchenneret, Théo au piano et Pierre au violon à la place initialement prévue pour Augustin Dumay. Dans ce quasi‑concerto pour violon, où le quatuor manifeste une parfaite homogénéité orchestrale, Pierre maîtrise tellement sa partition qu’il ne jette que furtivement les yeux sur son pupitre. Son jeu, à l’intense vibrato, délivre alors une émotion palpable. Son frère, Théo, n’est pas en reste. Dans le troisième mouvement, Grave, il parvient à faire penser au dernier Liszt, celui de La Lugubre Gondole (1883), et le temps paraît suspendu, au bord du gouffre. Dans le Final, éminemment orchestral, tous, avec des mains décidément en or, font chanter leur instrument de façon admirable.
Stéphane Guy
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