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De Haendel à Schoenberg

Baden-Baden
Festspielhaus
04/02/2023 -  

2*, 3 avril
Arnold Schoenberg : Cinq pièces, opus 16
Gustav Mahler : Symphonie n° 5 en ut dièse mineur

Berliner Philharmoniker, Daniel Harding (direction)


7*, 10 avril
Richard Strauss : Vier letzte Lieder – Ein Heldenleben, opus 40
Diana Damrau (soprano)
Berliner Philharmoniker, Kirill Petrenko (direction)


8 avril – et 9, 10, 11  mars 2023 (Berlin)
Georg Friedrich Haendel : Il trionfo del Tempo e del Disinganno, HWV 46a
Elsa Benoit (Bellezza), Julia Lezhneva (Piacere), Carlo Vistoli (Disinganno), Anicio Zorzi Giustiniani (Tempo)
Berliner Philharmoniker, Emmanuelle Haïm (direction)


D. Harding (© Monika Rittershaus)


Variations sur un thème de Haydn de Brahms, Variations pour orchestre opus 31 de Schoenberg et Huitième symphonie de Beethoven, tel était l’intéressant programme (mais aussi très court : trois fois 20 minutes !) du concert de Kirill Petrenko qui a tout à coup disparu de la programmation du Festival de Pâques 2023 des Berliner Philharmoniker à Baden‑Baden. Suppression discrète, il y a plusieurs mois déjà, sans doute en raison de la charge de travail trop lourde que représentaient par ailleurs trois représentations de la colossale Femme sans ombre de Richard Strauss au cours de la même semaine. En lieu et place, le concert dirigé par Daniel Harding a été dédoublé, donc deux fois le même programme deux jours de suite, ce qui n’a pas été sans une certaine mévente, le vaste vaisseau du Festspielhaus se révélant dès lors plus difficile à remplir que prévu, même en comptant sur l’attractivité d’une célèbre symphonie de Mahler. Quant au frustrés par l’absence du concert Brahms/Schoenberg/Beethoven de Kirill Petrenko, ils pourront toujours se laisser tenter par une session de rattrapage cet été à Salzbourg, le 28 août, concert pour lequel il reste encore quelques fauteuils disponibles (à 235 euros, donc quand même presque 4 euros la minute !), ou le 30 août à Lucerne (et là, c’est encore plus cher !).


Mais revenons à Daniel Harding et à son concert relativement copieux, et surtout intelligemment conçu, avec en première partie les Cinq pièces pour orchestre opus 16, composées par Schoenberg en 1909. Un ensemble dont Schoenberg avait d’abord proposé la création à Richard Strauss – « Des pièces absolument pas symphoniques, tout le contraire, pas d’architecture, pas de construction. Juste une succession ininterrompue de couleurs, de rythmes et d’ambiances. Mais, et c’est l’avantage qui vous permettra peut‑être de vous y risquer : l’ensemble est très court ! » –, Strauss préférant lui renvoyer poliment la partition – « Vous savez que j’aime aider et que j’ai du courage. Mais vos pièces sont des expériences si audacieuses quant à leur contenu et à leur sonorité que je ne peux pas, pour l’instant, oser les présenter à un public berlinois plus que conservateur. »


Effectivement des pièces, sinon atonales, du moins d’un chromatisme qui abolit la plupart de nos repères, et dont la séduction repose surtout sur la palette des couleurs et la dramatisation des interactions entre groupes instrumentaux, idéales pour les Berliner Philharmoniker, qui peuvent en gérer tous les aspects avec un luxe constant, mais pas vraiment valorisées par la froideur analytique de Daniel Harding. On assiste à un bel exercice de style, tout en transparences et en nuances calibrées, alors qu’on devrait aussi pouvoir se laisser emporter par l’expressivité des courbes et des couleurs de ces pièces, à mettre en scène comme une succession de tableaux expressionnistes. On notera en tout cas le silence du public, respectueux voire attentif, et des applaudissements correctement chaleureux à l’issue. En revanche un confrère critique de l’Online Merker qui note ici « des dissonances dodécaphoniques (sic) atrocement bruyantes et tombées dans l’oubli dès l’entracte » ferait mieux de prendre quelques cours de musicologie avant d’écrire.


On sera moins disert sur la Cinquième Symphonie de Mahler qui suit... parce qu’il n’y a pas grand‑chose à en dire, si ce n’est souligner l’excellence voire l’implacable perfection des Berliner Philharmoniker en grande forme. Daniel Harding dirige d’une façon tout à fait compétente, voire élégante, mais n’imprime à l’ensemble aucune personnalité tangible. Une belle lecture factuelle et lisse (l’Adagietto ne transporte nulle part), comme si le chef ne parvenait jamais vraiment à s’engager, à conférer à chaque geste instrumental le petit surcroît de ponctuation qui le rendrait décisif. A la fin du concert, on a l’impression d’avoir parcouru une grande œuvre en bonne compagnie, mais on reste sur sa faim.



(© Monika Rittershaus)


Donné deux fois, le seul programme des Berliner Philharmoniker restant dirigé par Kirill Petrenko au cours de ce Festival 2003 n’est guère plus long que celui qui a disparu de l’affiche. Chaque minute y est donc à déguster au prix fort, mais on peut se prendre au jeu, et effectivement se plonger dans les Quatre derniers lieder de Strauss en savourant chaque timbre, chaque intonation, chaque arabesque des vents, chaque murmure des cordes, parce qu’indéniablement chacun de ces moments est extraordinaire.


Mais il faut beaucoup se concentrer, parce que, comme Petrenko a choisi Diana Damrau pour interpréter ces lieder avec une voix tout sauf ample et conséquente, l’ensemble de l’orchestre se retrouve perpétuellement bridé à des nuances infinitésimales. On ne sait d’ailleurs pas par quels prodiges Petrenko parvient à ce point à nous faire tout entendre alors qu’en fait on n’entend presque rien, mais le résultat est magique, en se sacrifiant jamais ni l’expressivité ni la ligne générale. Dommage que Diana Damrau, même dans un contexte aussi favorable, ne convainque pas davantage. Le timbre reste serré, la voix mince, avare de couleurs, et même le maintien de la chanteuse paraît bizarre, la tête penchée de côté, le haut du corps presque bloqué, en recherche perpétuelle d’une projection fabriquée. La soprano allemande ne réédite donc en rien ses beaux Quatre dernier lieder de 2019 en compagnie de Mariss Jansons à Munich, mais c’était au disque, et il y a quatre ans déjà, ni même sa prestation de 2020, ici même, globalement moins artificielle, avec Valery Gergiev.


Après l’entracte, les Berliner Philharmoniker se retrouvent au grand complet pour Une vie de héros de Strauss toujours aussi minutieusement contrôlée par Kirill Petrenko, mais là, évidemment, avec un ambitus dynamique beaucoup plus généreux. Voire quelques coquetteries qui ne sont plus vraiment utiles, tel ce retour rapide, sitôt la tonitruante exposition lancée, à des nuances exagérément piano, qui amoindrissent un peu l’impact général. Certes une très belle exécution straussienne, à laquelle Petrenko, incomparable chef d’opéra, parvient aussi à insuffler beaucoup de théâtre, mais qui reste encore à roder, en particulier en ce qui concerne l’articulation des épisodes et l’équilibre des masses sonores. Le résultat est spectaculaire, mais, un peu d’ailleurs comme dans La Femme sans ombre, il manque à l’ensemble un rien de souplesse et de chaleur, alors même que le chef rayonne perpétuellement d’énergie. Et puis à ce niveau d’excellence, le violon solo de Vineta Sareika‑Völkner, Konzertmeisterin nouvellement nommée, déçoit quelque peu, techniquement compétent mais d’une sonorité plutôt générique. Alors même que le concert comporte deux des plus beaux solos de violon du répertoire d’orchestre, c’est frustrant.



(© Monika Rittershaus)


Troisième concert symphonique confié à... Emmanuelle Haïm, qu’on n’attendait pas vraiment là, mais l’idée de ménager une ouverture vers le répertoire baroque à des musiciens qui ne sont pas du tout spécialisés dans ce domaine n’est pas nouvelle, notamment à Berlin, où Emmanuelle Haïm est régulièrement invitée – elle y est d’ailleurs surnommée « Miss Dynamite » (sic). Cela dit, dès la première pièce instrumentale de l’oratorio de Haendel Il trionfo del Tempo e del Disinganno, on pressent une soirée bancale. Même en effectif « réduit », les Berliner Philharmoniker restent très (trop ?) opulents de timbre, et même les mouvements bizarres de la cheffe française, gestuelle à base de mouvements ascendants alla breve des jambes, d’oscillations pendulaires de tout le haut du corps et de la tête, le coude droit impulsant symétriquement en dehors (tout cela extrêmement laid à regarder), semblent les laisser relativement impavides. L’emprise d’Emmanuelle Haïm paraît s’exercer davantage sur les solistes instrumentaux, notamment le hautbois de Jonathan Kelly et le violoncelle de Martin Löhr, un peu moins sur le violon solo « grand style » de Daishin Kashimoto. On apprécie aussi l’ornementation raffinée de quelques belles effusions lentes, fondées sur un continuo très expressif. Mais quand il s’agit d’entraîner tout l’orchestre, et à des tempi volontiers sportifs, que ce soit en tressautant debout ou en s’asseyant pour plaquer nerveusement quelques accords au clavecin, l’effet de remorquage, dynamite ou pas, paraît plutôt comique. A moins de fermer les yeux ou de regarder ailleurs, ce qui permet au moins d’apprécier ce concert pour ce qu’il est : une lecture techniquement solide (les Berlinois assurent), qui débite gentiment son Haendel au mètre linéaire.


Comme cette musique d’un jeune Haendel en pleine effervescence inventive est intrinsèquement belle, ce n’est déjà pas si mal, encore qu’il faille aussi trouver les chanteurs adéquats pour s’y mesurer. Pas de vrai problème avec notre compatriote Elsa Benoit, jolie haendelienne (elle nous l’avait déjà prouvé à Munich, élégante Poppea dans la production d’Agrippina de Barrie Kosky), encore qu’ici il lui faille du temps pour s’échauffer, et surtout pour réussir à caler ses respirations sur des tempi d’une célérité inconfortable. La seconde partie s’épanouit mieux, et son « Tu del ciel ministro eletto » final, idéalement suspendu, sur le souffle, convainc totalement. Du côté masculin, le contre‑ténor Carlo Vistoli remplace Iestyn Davies souffrant, avec une voix relativement volumineuse mais parfois mal contrôlée (là aussi les tempi sont déstabilisants, et là encore les passages plus posés, dont l’incontournable « Crede l’uom ch’egli riposi », sont plus réussis). Même confronté à une tessiture périilleuse, le ténor Anicio Zorzi Giustiniani paraît globalement plus à l’aise, mais avec lui aussi des problèmes de justesse, fréquents écarts que la rectitude impeccable de l’accompagnement sur instruments modernes rend encore plus patents. En tout cas, dans le duetto « Il bel pianto dell’aurora », le mariage des deux timbres fonctionne bien. Et puis, on a gardé pour la fin la soprano russe Julia Lezhneva, dont le célebrissime « Lascia la spina » a été véritablement travaillé, avec une notable attention à ce qui est écrit, voire une belle inventivité pour rajouter des ornements, mais dont les airs plus virtuoses – ululements rendus encore plus pénibles du fait de l’important volume de la voix – sont parfois tellement approximatifs qu’ils laissent songeur, surtout quand ces étranges moments d’errance croulent ensuite sous les bravos.



Laurent Barthel

 

 

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