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Toute l’étendue des couleurs du mélodrame

Bordeaux
Opéra
03/04/2023 -  et 6, 8, 10, 12, 14 mars 2023
Gaetano Donizetti : La Favorite
Annalisa Stroppa (Leonora), Pene Pati (Ferdinand), Florian Sempey (Alphonse XI), Sébastien Droy (Don Gaspar), Vincent Le Texier (Balthazar), Marie Lombard (Inès)
Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, Salvatore Caputo (chef de chœur), Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Paolo Olmi (direction musicale)
Valentina Carrasco (mise en scène), Peter van Praet, Carles Berga (décors), Silvia Aymonino (costumes), Peter van Praet (lumières), Massimiliano Volpini (chorégraphie)


A. Stroppa, P. Pati (© Eric Bouloumié)


Après la réussite de la version de concert de Robert le Diable voilà deux ans, on ne boudera pas notre plaisir de retrouver à Bordeaux un autre grand opéra à la française, avec La Favorite (1840). Les spectateurs bénéficient cette fois du faste d’une production scénique, comme le requiert le genre, qui entremêle grande histoire et tourments individuels : le trio amoureux particulièrement vénéneux ici réuni tente ainsi de jongler avec l’honneur et les conventions, sur fond de conflit guerrier contre les Maures. Malgré le statisme de l’action, la multiplicité des atmosphères donne à entendre une partition d’une variété d’inspiration quasi inépuisable de la part d’un Donizetti alors au sommet de ses moyens, alternant scènes d’intériorité spirituelle ou d’ivresse amoureuse, ensembles spectaculaires entre tous les protagonistes, sans parler de la présence pénétrante du chœur, sollicité tout du long. Attendu au tournant par la critique, Donizetti donne là l’une de ses plus éclatantes réussites, en profitant de la double influence des maîtres du genre, Meyerbeer et Halévy : de quoi expliquer la longévité de l’un des plus grands succès du XIXe siècle à l’Opéra de Paris (où l’ouvrage est donné chaque année jusqu’en 1893) ou à l’international (grâce à la version italienne).


Présentée au Festival Donizetti de Bergame en fin d’année dernière, la production imaginée par Valentina Carrasco joue d’abord la carte de la séduction visuelle en superposant plusieurs éléments de décor, magnifiés par l’élégance des éclairages, entre pénombre et contre‑jour énigmatiques. Peu à peu, l’ancienne assistante d’Alex Ollé (La Fura dels Baus) alterne rideaux noirs transparents et grandes grilles pour suggérer combien les protagonistes sont prisonniers de leur condition sociale, du religieux à la courtisane, en passant par le Roi lui-même. Mais Carrasco surprend plus encore en choisissant d’animer le (long) ballet de l’acte II d’une déambulation d’une dizaine de femmes âgées, qui figurent les anciennes favorites délaissées par le souverain. Si le message féministe est séduisant, il peine toutefois à se renouveler sur la durée des vingt minutes du ballet, du fait d’un recours trop simpliste à la pantomime, au détriment de la danse. Pour le reste, la mise en scène reste heureusement pertinente, à la fois pour sa direction d’acteur soutenue que sa constante fidélité au récit ou aux moindres inflexions musicales.


Après le triomphe remporté ici même par Pene Pati voilà trois ans dans Roméo et Juliette, le public bordelais est venu en nombre pour fêter le ténor samoan : on ne peut que rendre les armes devant l’éclat de son timbre en pleine voix, confondant de naturel et d’une radieuse beauté. Les progrès dans la diction française sont aussi audibles depuis sa récente prestation à Monte‑Carlo dans La Damnation de Faust, particulièrement dans les passages en mezzo voce, où l’émission est plus ouverte. A ses côtés, Annalisa Stroppa donne à sa Leonora les accents déchirés d’une interprète soucieuse du moindre détail au niveau interprétatif, bien aidée par sa grande maitrise technique sur toute la tessiture. On aime aussi le chant ardent de Florian Sempey (Alphonse XI), qui montre sa maîtrise du rôle (voir notamment à Berlin en 2015) par un investissement dramatique d’une sincère éloquence et d’une puissance d’émission étourdissante par endroit. Plus en retrait du fait d’un timbre en lambeaux dans l’aigu, Vincent Le Texier (Balthazar) se rattrape quelque peu par son art de la diction, d’une noblesse digne et sereine, tandis que le chœur déçoit lui aussi par son manque de cohésion dans les attaques, ce qui est particulièrement audible s’agissant d’un ouvrage chanté en français.


Placé sous la direction aussi attentive qu’aérienne de Paolo Olmi, l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine donne beaucoup de plaisir à force de couleurs et de raffinement, donnant à ce Donizetti les atours d’un mélodrame finement contrasté. De quoi parfaire la réussite de cette production qui démontre toute l’étendue de la richesse de sonorités offerte par le grand opéra à la française.



Florent Coudeyrat

 

 

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