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Achille arrive enfin au Teatro Real

Madrid
Teatro Real
02/17/2023 -  et 19, 23, 25, 26* février 2023
Francisco Corselli : Achille in Sciro
Gabriel Díaz (Achille), Francesca Aspromonte (Diademia), Sabina Puértolas (Teagene), Mirco Palazzi (Licomede), Tim Mead (Ulisse), Krystian Adam (Arcade), Juan Sancho (Nearco)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Barroca de Sevilla, Ivor Bolton (direction musicale)
Mariame Clément (mise en scène), Julia Hansen (décors, costumes), Ulrik Gad (lumières), Mathieu Guilhaumon (chroégraphie)


G. Díaz, F. Aspromonte (© Javier del Real/Teatro Real)


Quelques jours avant la date prévue pour la première d’Achille in Sciro entrait en vigueur l’état d’urgence sanitaire causé par le covid‑19. La date prévue était le 17 mars 2020. Le Teatro Real a insisté : pendant quelques mois, les décors d’Achille sont restés en place en attendant la possibilité qu’il soit représenté. Mais les normes sanitaires imposaient la prudence des comportements. Le Teatro Real a été le premier théâtre important où, en respectant les normes, on a résisté très tôt. Dès l’été, il a présenté La Traviata avec des masques, des décors distanciés et des séparations entre les spectateurs. Il fallait, surtout, avoir au moins un esprit de continuité dans le théâtre. Et cela s’est poursuivi ainsi pendant plus d’un an, puis on en est progressivement revenu à un fonctionnement normal. Maintenant, trois ans après, le retour d’Achille dans son île a donc été possible.


Malheureusement, la maladie de Franco Fagioli a provoqué un tremblement de terre au théâtre : il a fallu remplacer le premier rôle à un niveau artistique comparable, et le cover, Gabriel Díaz, a été contraint de travailler son rôle en toute hâte. Cela a entraîné le report d’une des représentations : une représentation supplémentaire a été programmée le dimanche 26, destinée ceux qui avaient été privés de la précédente. Fagioli a été de toutes les répétitions, les perspectives étaient optimistes, il dominait le rôle parfaitement, mais finalement, il n’a hélas pu chanter en public un rôle si long et difficile qu’il avait préparé en 2020 et en 2023.


Le Teatro Real a enfin produit un opéra baroque du patrimoine espagnol, cet Achille créé au Teatro del Buen Retiro en 1744. Le livret est une des nombreuses pièces de Métastase donnant lieu à des (aussi) nombreux opéras ; la première version d’Achille date de 1736, sur une musique de Caldara, également pour un mariage royal. Le compositeur, Francesco Corselli (1705‑1778), appelé Francisco en Espagne, est totalement hispanisé, comme ce fut le cas de Domenico Scarlatti et de Boccherini. Corselli a vécu en Espagne jusqu’à sa mort. Achille in Sciro contient des arias d’une importance sans égale pour le répertoire du baroque tardif. Les critiques s’accordent sur le fait qu’il faut récupérer encore plus le patrimoine théâtrale espagnol du Baroque, avec des mises en scène et pas seulement des versions de concert, si indispensables soient‑elles.


Il y a des similitudes entre Platée de Rameau et Achille in Sciro, tous deux étant des célébrations pour le mariage du dauphin Louis (tout comme Monseigneur, fils de roi, père de roi, jamais roi) avec l’infante María Teresa Rafaela, fille de Philippe V (le premier roi de la dynastie Bourbon en Espagne, petit‑fils de Louis XIV) et sa seconde épouse, Isabelle de Farnesio). Le mariage des tout jeunes princes a eu lieu par procuration à Madrid le 18 décembre 1744 et finalement à Versailles le 23 février 1745. On attendait une détente dans les relations entre l’Espagne et la France après une histoire de déception de fiançailles : le jeune Louis XV a épousé une princesse polonaise, et non sa première fiancée, l’infante Mariana Victoria d’Espagne. Et, après tout, il s’agissait de la même famille, les Bourbons. Mais le très court mariage de Louis et María Teresa a été une histoire d’amour, après tout.


L’infante María Teresa est présente pendant toute la représentation, un rôle muet donnant un sens à toute l’histoire. L’infante fait tout un apprentissage pendant la représentation, dans l’idée de la très intelligente mise en scène de Mariame Clément (on conserve un beau document audiovisuel de sa mise en scène de Platée, justement, à l’Opéra du Rhin en 2010). L’infante entre dans les décors, se promène par la scène, s’étonne des passions des personnages, des situations dramatiques, et, vers a fin, elle est même en confidence avec Deodamia, le principal personnage féminin. Une actrice élégante, Karia Klein, non seulement par son très beau costume, inspiré du tableau de Van Loo, mais par l’élégance de ses mouvements, ses gestes précis, sans gêner l’action dont elle jouit en tant que future reine de France. Malheureusement, l’infante est morte un an après son mariage ; mourir en couches était un grand danger à l’époque, on le sait. Son mari, désolé, se remariera plus tard, mais il mourra avant d’être roi de France, lui aussi. Ses fils sont l’infortuné Louis XVI et les deux pauvres « restaurateurs » Louis XVIII et Charles X, le fossoyeur de la dynastie, voire de la monarchie malgré Orléans et le petit Napoléon.


La mise en scène se développe dans un paysage de grottes, quelque chose de longtemps très à la mode au XVIIIe. Les mouvements sont mesurés comme dans un ballet, il y a une direction d’acteurs précise, durement travaillé ; rien n’est laissé au hasard. Mariame Clément résout un des problèmes posés par la mise en scène d’un opéra baroque : que faire pendant les longues tirades d’une aria ? La solution réside précisément dans les rapports entre les acteurs, entre les personnages, des rapports qui ne sont pas interrompus par l’aria et qui ne se limitent pas à quelque chose de gratuit ou de grimaçant. Facile à dire, difficile à accomplir. Ici, le résultat est tout à fait satisfaisant, grâce à la clairvoyance et au sens artistique de Mariame Clément.


Côté voix, la critique est difficile, car la distribution a subi un véritable cataclysme. Le contre‑ténor Gabriel Díaz a été le héros des représentations. Il a travaillé avec acharnement son Achille, et il a pallié l’absence de Fagioli avec une remarquable dignité, même si le rôle est écrit pour soprano alors que Díaz est plutôt haute‑contre. Un jeune artiste comme Gabriel Díaz est très prometteur. L’Ulysse de Tim Mead, contre‑ténor lui aussi, a paru un peu fade et faible. Mirco Palazzi a un peu déçu, même s’il a des arias où il se tire bien les pièges cachés. Les deux sopranos ont été aussi des héroïnes de cette production : l’exquise Francesca Aspromonte (Deidamia), Italienne de Calabre, a une très belle couleur et une grande aptitude pour les vocalises, sans tomber dans le vibrato, quelque chose d’anachronique qu’on entend souvent. La formidable Sabina Puértolas construit une Teagene splendide, et elle tombe parfois dans ce vibrato, plus adapté au belcanto tardif du XIXe. Mais elle connaît bien le répertoire baroque, comme elle l’a montré dans ses rôles haendéliens. Le Polonais Krystian Adam et le Sévillan Juan Sancho ont endossé leurs rôles plutôt comme des ténors comiques, tous deux des acteurs accomplis.


Les décors et costumes de Julia Hansen sont beaux, suggérant un mélange des époques anciennes, et cela fonctionne très bien, sans jamais gêner, un bel appui pour la conception exceptionnelle de Mariame Clément.


Côté orchestre, de la pureté dans la tendance de la « vérité » des sons de l’époque : un orchestre « historique », spécialisé, l’Orchestre baroque de Séville, bien dirigé et avec beaucoup de vie par un habitué (plus qu’un expert) du XVIIIe, Ivor Bolton, dont la ferveur charismatique est bien connue, même s’il est la cible les critiques de quelques spécialistes du baroque, des critiques pas toujours déraisonnables. Le Chœur du Teatro Real, dirigé par Andrés Máspero, a chanté au niveau artistique de l’orchestre et les solistes, mais le chœur était aussi un très important élément pour les mouvements et l’image même de la mise en scène.


Un très beau spectacle, des musiciens et une production d’un grand niveau artistique, une victoire de la volonté des responsables du Teatro Real sur l’adversité du temps.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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