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Une mise en scène qui peine à décoller

Geneva
Grand Théâtre
02/27/2023 -  et 28* février, 2, 3, 5, 7 mars 2023
Claudio Monteverdi : Il ritorno d’Ulisse in patria
Mark Padmore (Ulisse, L’Umana Fragilità), Sara Mingardo (Penelope), Jorge Navarro Colorado (Telemaco), Julieth Lozano (Amore, Melanto), Mark Milhofer (Eumete), Omar Mancini (Eurimaco), Elena Zilio (Ericlea), Giuseppina Bridelli (Giunone, Fortuna, Minerva), Jérôme Varnier (Nettuno), Denzil Delaere (Giove), Sahy Ratia (Anfinomo), Vince Yi (Pisandro), William Meinert (Antinoo, Tempo)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (chef de chœur), Ensemble Europa Galante, Fabio Biondi (direction musicale)
FC Bergman (mise en scène et décors), Mariel Manuel (costumes et accessoires), Ken Hioco (lumières), Luc Joosten (dramaturgie)


(© Magali Dougados)


L’idée de départ était excellente : transposer Le Retour d’Ulysse dans un grand hall d’aéroport, entre des rangées de sièges métalliques, un tapis roulant à bagages, un immense tableau d’affichage, un escalator géant et des portiques de sécurité. Rien de mieux en effet pour évoquer l’attente, le voyage, le départ, les retards, le retour... autant de thèmes présents dans le chef‑d’œuvre de Claudio Monteverdi. Mais une fois le décor planté, le potentiel n’a pas été véritablement exploité et l’idée... n’a pas décollé du tout, pour oser un jeu de mot un peu facile. La production n’a fait que tourner en rond. Le collectif de metteurs en scène belges FC Bergman s’est contenté de gags potaches très premier degré, qui certes auraient eu beaucoup de succès dans un spectacle de lycéens, mais qui ont fait sourire sur le plateau du Grand Théâtre de Genève, quand ils n’ont pas semblé totalement ridicules : une fontaine à eau qui crache son liquide au rythme des interventions de Neptune, l’appareil étant immobile au début, avant qu’il se mette à déambuler le long de la scène, des courts‑circuits sur un tableau électrique pour évoquer les foudres de Jupiter ou encore les multiples objets traînant sur le tapis roulant des bagages, autant de souvenirs du périple d’Ulysse : un œil sanguinolent (du Cyclope), la tête d’un cheval (de Troie), le sablier (du temps qui passe) ou encore une pomme d’or (des Hespérides). Formant un long cortège sur l’escalier roulant, les prétendants s’avancent un par un vers Pénélope et, une fois devant elle, enlèvent leur chemise, certains allant même jusqu’à ôter leur pantalon et, pour les plus intrépides, leur caleçon pour dévoiler leurs atouts. La parade érotique prête à sourire, mais lorsque Pénélope s’enhardit et va jusqu’à caresser le torse de certains des hommes à ses pieds, la salle frissonne car on sent à ce moment‑là que l’héroïne est à deux doigts de céder, ce qui est une des (rares) excellentes idées de cette mise en scène décapante. Beaucoup moins réussis par contre sont les meurtres des prétendants par Ulysse, l’hémoglobine giclant tellement qu’elle déclenche immédiatement des rires sonores dans la salle. Une bonne partie du public ne peut s’empêcher de penser que tout ce sang n’est que le reste de celui abondamment utilisé pour le Parsifal du début d’année. Les chèvres qui peuplent l’aéroport et le cheval superbement harnaché qui tire le char de Minerve font partie des belles trouvailles de FC Bergman, comme d’ailleurs l’hésitation finale de Pénélope, qui semble terriblement longue, une éternité : elle ne sait que faire, elle louvoie... au point qu’on en vient à se demander si elle va reconnaître Ulysse. On mentionnera également les splendides costumes scintillants conçus par Marie Manuel que portent certains personnages. En fin de compte cependant, on ne peut que regretter que ce drame intimiste des sentiments se joue dans un espace si froid et déshumanisé.


La partie musicale du spectacle n’appelle, quant à elle, que des éloges. La distribution, particulièrement soudée et homogène, est emmenée par Sara Mingardo, Pénélope à la voix grave et corsée, bouleversante dans ses longs lamenti tellement fragile et fatiguée qu’elle s’effondre à plusieurs reprises et doit être constamment soutenue par sa suivante Mélantho, qui la porte jusque sur un siège pour qu’elle puisse dormir un peu et se reposer. Ulysse apparaît sur le tapis roulant des bagages, couvert d’algues et de coquillages. Incarnant à merveille un héros vieilli et amaigri, un peu perdu et hagard dans ce monde dont il a longtemps été absent, Mark Padmore lui prête aussi humanité et fierté, avec sa voix claire et ductile, malgré un vibrato parfois gênant. En tout début de spectacle, il campe avec beaucoup d’à‑propos l’Humaine Fragilité, ligoté à un poteau. Télémaque, le fils d’Ulysse et de Pénélope, est incarné par un Jorge Navarro Colorado au timbre conquérant et vaillant. Mark Milhofer est, lui, un Eumée au phrasé impeccable et extrêmement touchant dans sa simplicité et sa bonhomie. La servante Euryclée d’Elena Zilio est particulièrement convaincante et touchante dans son apostrophe finale à Pénélope, qui tarde tant à reconnaître Ulysse. Tous les rôles secondaires – nombreux – sont à l’avenant. Dans une fosse rehaussée, Fabio Biondi, à la tête de sa formation Europa Galante, qu’il accompagne parfois au violon, offre une superbe interprétation toute en douceur, en raffinement et en introspection de la partition de Monteverdi. Aux yeux du public genevois, le chef a regagné le crédit qu’il avait perdu lorsque, en janvier 2020, il avait accepté le charcutage musical de L’Enlèvement au sérail.



Claudio Poloni

 

 

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