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Une zarzuela baroque

Madrid
Auditorio nacional
02/23/2023 -  
Antonio de Literes : Acis y Galatea
Aurora Pena (Galatea), Lucía Caihuela (Acis), Elia Casanova (Glauco, Tisbe), Víctor Cruz (Momo), Emilio Gavira (Polifemo)
Concerto 1700, Daniel Pinteno (violon et direction)
Ignacio García (dramaturgie)


(© Elvira Megías)


Au mois de novembre dans nos colonnes, il a été question de la résurrection de l’art lyrique théâtral du Siècle d’Or espagnol, un siècle dont la durée est supérieure à deux cents ans, dès Garcilaso de la Vega jusqu’à, justement, des poètes dramatiques comme José de Canizares, auteur de cette version d’Acis et Galatée. On pourra se reporter à ce précédent article pour nous éviter la répétition d’une rengaine nationale : mais que s’est‑il passé avec le patrimoine lyrique théâtral de l’époque ? Que nous reste‑t‑il après le ravage par l’incendie de l’Alcazar de Madrid au XVIIIe siècle, où étaient conservées des copies uniques de centaines de musiques de théâtre et d’église ? Dans notre compte rendu de Vendado es Amor, no es ciego, zarzuela baroque de José de Nebra, nous expliquions les circonstances, les théâtres, les conditions de ce type de théâtre, pour le palais et pour le peuple. Acis et Galatée est une zarzuela, c’est‑à‑dire du chant, de l’action dramatique, de la parole récitée, semblable à l’opéra comique ou au Singspiel. En même temps, il y avait de la danse, un élément insurpassable pour une pièce comme celle‑ci, pas limitée à la seule musique.


Acis et Galatée a été représenté au Palais du Buen Retiro en 1709, à un moment où l’on ne pouvait pas encore être certain de la fin de la Guerre de Succession : le duc d’Anjou, en tant que Philipe V d’Espagne, fêtait son vingt‑cinquième anniversaire et Acis et Galatée faisait partie des célébrations ; il était le premier monarque espagnol à appartenir à la dynastie Bourbon, pendant et après une guerre aux dimensions européennes. Ce n’est qu’en 1713 que le traité d’Utrecht met fin à la guerre. Une zarzuela comme Acis et Galatée, une variation d’un thème mythologique favori des compositeurs des deux siècles, est donc une des « fêtes » données en hommage à la nouvelle dynastie à Madrid.


Dans le cadre du cycle « Universo Barroco » du Centre national de diffusion de la musique, on a entendu une version de concert avec une ambition scénique que la petite scène de la salle de chambre de l’Auditorium national ne pouvait pas satisfaire. Deux sopranos, une mezzo, un baryton et un récitant un peu trop sympathique pour réciter le rôle de Polyphème (et chanter, même, une fois : tellement sympathique qu’on lui a pardonné son chant par des applaudissements au‑delà de la courtoisie). C’est une belle expérience pour connaître la musique de Literes dans cette pièce, même si tout est réduit à une mise en espace amoindrie (il semble que la première ait également été présentée en version concert). Ignacio García, bon connaisseur des classiques espagnols, a réalisé une dramaturgie respectueuse afin de faciliter la compréhension de public. Et du point de vue musical, on a entendu la même musique que le public de 1709, version intégrale. L’acteur Emilio Gavira (Polyphème), très efficace et avec une vis comica jamais exagérée, assure la continuité de l’action et des situations dramatiques. C’est une musique pas encore trop dominée par l’influence italienne, avec des chants (chœur et solistes) et danses de pure souche espagnole ; il faut éviter le qualificatif de national – il n’y avait pas en Europe au XVIIIe siècle des nations au sens moderne, et le mot nation désignait quelque chose d’autre ; mais les thèmes sont très souvent populaires, comme les persistantes seguidillas. Un peu d’italianisme n’aurait pas été inapproprié pour éviter les quelques monotonies de cette pièce. Malheureusement, l’italianisme arrivera un jour, de la main de la cour où le roi était Philippe (progressivement fou) ; et le prince des chanteurs était Farinelli. Les racines populaires disparaîtront, ou se réfugieront chez les bellissimes et abondantes sonates de Domenico Scarlatti, installé à Madrid.


L’ensemble Concerto 1700 joue avec une vivacité, une joie contagieuses. Sept musiciens : deux violons, violoncelle, contrebasse, guitare baroque, clavecin, percussion. Daniel Pinteno est premier violon et directeur de l’ensemble : c’est lui qui a conçu le spectacle de cet Acis. Quatre belles voix pour cinq personnages ; à l’époque les personnages masculins étaient chantés très souvent par des femmes, sopranos ou mezzos. Lucía Caihuela, mezzo, a une voix puissante, un large registre, pour son Acis passionné. Aurora Pena a déployé avec douceur une belle couleur, une ligne raffinée, une Galatée frôlant l’idéal. Elia Casanova a chanté ses deux rôles opposés (le dieu Glaucus et la graciosa Thisbé) avec un art avéré, même si on ne voyait pas trop les différences. Enfin, Victor Cruz jouait un très comique Momus, le fiancé de Thisbé, le gracioso, un personnage permanent de la comédie espagnole (très souvent, les metteurs en scène ne savent pas quoi en faire, mais ici il n’y avait pas de mise en scène).


Malgré tout, un formidable concert que celui de Concerto 1700 dirigé par Pinteno, de belles voix, un bon acteur (Gavira), une solution appropriée pour les parties parlées (Ignacio García)... L’enregistrement de cette expérience de l’ensemble Concerto 1700 permettra la conservation de cette zarzuela pas tout à fait inconnue.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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