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L’Ircam scelle l’union du spectralisme et de la pop

Paris
Ircam
02/16/2023 -  
Carmine‑Emanuele Cella : I am in blood (création)
Didem Coskunseven : Dawn Chorus (création)
Fausto Romitelli : Your time is over

Florian Lauridon (violoncelle), Etienne Démoulin (électronique Ircam), Jérémie Bourgogne (diffusion sonore Ircam)
L’Itinéraire, Léo Margue (direction)


C.‑E. Cella


En l’espace de six ans, le monde musical perdit Gérard Grisey à l’âge de 52 ans en 1998, et Fausto Romitelli à l’âge de 41 ans en 2004. Nombreux sont les créateurs à leur accorder depuis leurs suffrages : le second aura été non seulement le précurseur du courant saturationniste, mais aussi l’un des premiers à avoir combiné le spectral et la pop à travers une esthétique attachée à décloisonner la frontière entre musique savante et populaire.


Il s’agit de la création française de Your time is over (1993), dont Paul Méfano et 2e2m assurèrent la première en 1994 à Lisbonne. Optionnelle, l’amplification de l’ensemble s’imposait dans l’Espace de projection flambant neuf de l’Ircam. Lors de la courte coda, le pianiste, penché vers la table d’harmonie, murmure le titre de la pièce : « Your time over » – le cancer qui devait emporter Romitelli venait de lui être diagnostiqué. Divisé en deux vastes crescendos, ce concerto pour violoncelle – instrument lyrique par excellence – donne lieu à une écriture moins heurtée que celle auquel le style tardif du compositeur nous a habitué. On y retrouve certes son goût du métissage, un « son rock » très présent, mais aussi des alliages aux harmoniques plus pures (comparé à l’emblématique Professor Bad Trip, 1998), jumelés avec une écriture qui favorise la division des pupitres. Florian Lauridon, sensible à « l’urgence extrême » de cette musique, en traduit puissance expressive sous le geste complice de Léo Margue.


Les sonorités hospitalières et décontractées du « jazz modal » cher à Didem Coskunseven (née en 1976) vous enveloppent dès les premières mesures de Dawn Chorus. Placés aux deux extrémités de la scène, Christophe Bredeloup et Benoît Masson se livrent à un envoûtant babil sur leurs claviers respectifs – la pièce est écrite pour vibraphone, marimba et électronique. On salue la discipline rythmique des deux percussionnistes tant la tentation de swinguer doit être forte. Le clin d’œil au minimalisme va de pair avec une électronique dont l’Espace de projection, avec ses haut‑parleurs disséminés autour du public, exalte les vertus immersives.


L’éclairage varié, joint à un espace en trois dimensions, se retrouve dans la création beaucoup plus ambitieuse pour quinze musiciens et électronique en temps réel I am in blood, (d’après un vers de Macbeth). On se demande à quoi ressemble le conducteur, Carmine-Emanuele Cella (né en 1976) insistant dans les notes de programme sur le travail réalisé de concert avec les musiciens : « la partition devenait presque superflue, la notation non nécessaire : l’essentiel de la transmission passait par le geste, l’oral ». De là des problèmes de pérennité – à l’instar de l’art chorégraphique – auquel l’Italien réagit très stoïquement : « ... tant que je suis vivant, ma musique l’est aussi. Jusqu’à ce que je meure. Et ma musique m’accompagnera dans la mort. » La mort, en l’occurrence celle de George Floyd, et le traumatisme du confinement ont hanté Cella lors du processus de composition. Difficile de ne pas percevoir une allusion à ce tragique fait divers qui enflamma les Etats‑Unis au moment de l’intermède, chaotique et d’une grande violence, pour électronique seule. Des notes égrenées de manière dolente au piano lui succèdent : effet saisissant.


Auparavant, cette dialectique subtile entre écriture fixée et écriture « hic et nunc » (pour reprendre les termes choisis) aura irrigué une matière contrastée mais jamais étouffante, où l’oreille trouve à se raccrocher. Les musiciens de l’Ensemble Itinéraire se surpassent, de l’accordéon convulsif de Marie‑Andrée Joerger aux duos de percussionnistes à qui échoit un étonnant passage aux cloches tubulaires. Etienne Démoulin et Jérémie Bourgogne (à la technique) secondent la direction engagée de Léon Margue dans ces quelque trente minutes de musique dont la charge émotionnelle vous hante longtemps après l’avoir écoutée.



Jérémie Bigorie

 

 

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