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Vent de fraîcheur sur Le Chevalier à la rose

Lucerne
Luzerner Theater
01/21/2023 -  et 26, 28 janvier, 3, 5, 10, 12*, 15 février, 5, 11 mars, 10, 23, 30 avril 2023
Richard Strauss : Der Rosenkavalier, opus 59 (réduction pour effectif orchestral moyen d’Eberhard Kloke)
Eyrún Unnarsdóttir/Tineke Van Ingelgem* (Die Feldmarschallin Fürstin Werdenberg), Christian Tschelebiew (Der Baron Ochs auf Lerchenau), Solenn Lavanant Linke (Octavian), Jason Cox (Herr von Faninal), Tania Lorenzo Castro (Sophie), Antonia Bourvé (Jungfer Marianne Leitmetzerin), Vladyslav Tlushch (Der Polizeikommisar), Mauro Peter (Ein Sänger, enregistrement), Ziad Nehme (Der Haushofmeister, Ein Tierhändler), Valérie Junker (Kammerzofe Mariandl), Daniel Foltz‑Morrison (Leopold auf Lerchenau), Xenia Romanoff (Eine Modistin), Alyssa Hicks*/Sofía Pollak (Adeliger Waise)
Chor des Luzerner Theaters, Mark Daver (préparation), Luzerner Sinfonieorchester, Robert Houssart (direction musicale)
Lydia Steier (mise en scène), Matthias Piro (collaboration à la mise en scène), Blake Palmer (décors), Alfred Mayerhofer (costumes), Marc Hostettler (lumières), Lars Gebhardt, Talisa Walser (dramaturgie)


(© Ingo Hoehn)


Sa Salomé à l’Opéra Bastille en octobre avait fait scandale. Son Chevalier à la rose à Lucerne est largement salué. Lydia Steier fait la pluie et le beau temps sur les scènes lyriques. La metteur en scène américaine vient de signer dans la petite cité de Suisse centrale – où elle est responsable pour l’opéra au sein du théâtre municipal depuis la saison dernière – une version de la comédie de Richard Strauss et de Hugo von Hofmannsthal qui fera date, avant d’aborder La Femme sans ombre à Baden‑Baden en avril. Elle modernise radicalement l’ouvrage, avec quelques excès certes, mais sans les provocations outrancières de sa Salomé parisienne. Son Chevalier à la rose est frais et pétillant, vif et alerte, drôle et profond à la fois, avec une direction d’acteurs réglée au millimètre ; il peut de surcroît compter sur la présence dans la distribution de jeunes chanteurs qui sont aussi d’excellents acteurs.


Au lever de rideau, la Maréchale et Octavian sont dans un bassin, à moitié dévêtus, en train de s’embrasser et de se caresser de façon très langoureuse. Mariandl, la femme de chambre de la Maréchale, est le double exact de sa maîtresse, mais avec plusieurs centimètres en moins (c’est une femme de petite taille qui fait immanquablement penser à certains personnages de Fellini) ; malicieuse et espiègle, elle tire les ficelles du jeu : elle sait pertinemment qu’Octavian a passé la nuit avec la Maréchale, même si cette dernière s’évertue à demander à son amant de se cacher pour que les domestiques ne le découvrent pas. Et lorsque la Maréchale prie sa servante de s’empresser de rappeler Octavian qui vient de quitter le palais, celle‑ci va simplement faire non de la tête, avec un petit sourire entendu. Au deuxième acte, Sophie apparaît en très jeune adolescente gore, qui ne veut absolument pas obéir à son père. La scène de la remise de la rose est une des plus belles réussites du spectacle : Lydia Steier considère ce moment très formel et solennel comme la répétition d’un opéra sur une scène de tréteaux, et d’ailleurs Octavian ne cesse de regarder la partition, comme s’il s’était mal préparé ou alors comme s’il avait le trac. Après le coup de foudre entre lui et Sophie, les deux amoureux quittent les tréteaux pour donner libre cours à leurs véritables sentiments et sortir du cadre des convenances. Le début du troisième acte manque malheureusement de finesse : poursuivant Octavian (déguisé en jeune femme) de ses assiduités graveleuses, le baron Ochs finit par se retrouver à moitié nu, déguisé en femme et les mains attachées, si bien qu’Octavian pourra le fouetter à sa guise. Une scène sado‑maso complètement déplacée ici. La fin, en revanche, est une pure merveille : ce sont cette fois Sophie et Octavian qui se retrouvent dans le bassin qui a ouvert le spectacle, jouant dans l’eau et riant comme des enfants, alors que la Maréchale, qui leur tourne le dos, gravit lentement un grand escalier pour les laisser seuls. Une mise en scène moderne et innovante, drôle mais aussi sensible, avec de nombreuses trouvailles intéressantes.


Le théâtre municipal de Lucerne étant très petit (il peut accueillir à peine 480 spectateurs), c’est une version pour orchestre moyen du chef et compositeur allemand Eberhard Kloke qui a été choisie pour représenter l’opéra de Richard Strauss. Malgré le nombre réduit de musiciens (quarante‑deux), l’orchestre joue souvent très fort, trop fort parfois. S’il est évident que la réduction n’offre pas la luxuriance, le soyeux et la sensualité de la partition originale, surtout dans les pupitres des cordes, Robert Houssart parvient néanmoins, à la tête de l’Orchestre symphonique de Lucerne, à rendre le rythme et la verve de la musique de Strauss. La distribution est composée de chanteurs jeunes pour la plupart et qui savent jouer la comédie. Elle est emmenée par l’Octavian de Solenn Lavanant Linke, qui change d’habits et de genre avec une facilité déconcertante et qui éblouit vocalement par son chant nuancé, raffiné et bien projeté. La Sophie de Tania Lorenzo Castro est une véritable pile électrique, adolescente vive et rebelle qui ne tient jamais en place, avec des aigus clairs et lumineux. Malgré quelques scènes dévêtues dans la piscine, où elle oublie son rang, Tineke Van Ingelgem incarne une Maréchale racée et distinguée dans sa superbe robe rococo, mélancolique aussi et toujours émouvante lorsqu’elle évoque le temps qui passe, malgré parfois quelques stridences dans la voix. Christian Tschelebiew campe un baron Ochs à la forte présence scénique et à l’émission sonore, personnage souvent maladroit et ridicule, mais qui n’en fait jamais trop. Lydia Steier fait souffler un vent de fraîcheur sur le vénérable Chevalier à la rose.



Claudio Poloni

 

 

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