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Insondable profondeur

Lille
Opéra
01/30/2023 -  et 2, 4, 6, 8 février 2023
Claude Debussy : Pelléas et Mélisande
Julien Behr (Pelléas), Vannina Santoni (Mélisande), Alexandre Duhamel (Golaud), Marie‑Ange Todorovitch (Geneviève), Patrick Bolleire (Arkel), Damien Pass (Médecin), Edgar Combrun/Hélory L’Hernaut Roulière* (Yniold), Mathieu Gourlet (Berger)
Chœur de l’Opéra de Lille, Yves Parmentier (chef de chœur), Les Siècles, François‑Xavier Roth (direction),
Daniel Jeanneteau (mise en scène, scénographie), Marie‑Christine Soma (scénographie, lumières), Olga Karpinsky (costumes), Pierre Martin‑Oriel (vidéo)


A. Duhamel, V. Santoni (© Frédéric Iovino)


Encore une victime de la pandémie. Montée en 2021 sans public, disponible à un moment en streaming et enregistrée par Harmonia Mundi, voici enfin cette production dans des conditions normales. Pour ce Pelléas et Mélisande (1902), le metteur en scène, Daniel Jeanneteau, et sa collaboratrice, Marie‑Christine Soma, ont imaginé un décor abstrait et unique. Les personnages évoluent dans ce qui pourrait ressembler au fond d’une citerne, un espace percé en son centre d’un grand trou au rebord arrondi, figurant une source, un puits, une fontaine, un gouffre. Deux longues et hautes parois, qui suggèrent, par leur vertigineuse verticalité, les tours du château, délimitent l’espace de part et d’autre, tandis qu’un fond noir, duquel émergent parfois les personnages comme suspendus dans le vide, telles des apparitions ou des visions, ouvre la scène vers une insondable profondeur. La scénographie privilégie le dépouillement, la suggestion, dans une certaine mesure aussi le symbolisme, mais l’approche n’en demeure pas moins cohérente et en phase avec l’esprit de l’œuvre. L’eau occupe une place importante, sous forme liquide – de la pluie – ou vaporeuse – de la bruine, de la fumée qui s’échappe de cet bouche immense et intimidante. La direction d’acteur, d’une précision et d’une justesse admirables, la beauté simple de la scénographie, la clarté et la parfaite concrétisation des intentions, tout cela participe au sentiment d’évidence de cette magnifique mise en scène qui s’impose désormais comme un jalon dans l’histoire de la représentation de ce chef‑d’œuvre.


La distribution, qui correspond, à quelques exceptions près, à celle de l’enregistrement, suscite l’admiration. Par ses compétences dramatiques et vocales, Vannina Santoni rend parfaitement la nature ambivalente de Mélisande. La soprano, qui semble taillée pour ce rôle, évite de tomber dans les clichés attachés à ce personnage, ici une jeune femme coiffée à la garçonne, étrangement irréelle et concrète en même temps. Une admirable et captivante performance, à l’instar du Golaud d’Alexandre Duhamel, ovationné à juste titre par le public qui salue une incarnation majeure. Le baryton se démarque par la profondeur et la justesse de la caractérisation, celle d’un personnage agressif et manipulateur, mais aussi sensible et humain, et la voix n’encourt aucun reproche, maîtrisée dans le grand écart entre cri et murmure. Le beau Pelléas de Julien Behr se hisse à la hauteur du défi, mais cette prestation incontestablement réussie ne possède pas autant de traits distinctifs que celle, encore plus mémorable, de ses deux autres partenaires. Le chant et l’incarnation n’encourent aucun reproche, ils répondent même assez largement aux attentes – beauté du timbre, tenue du phrasé, justesse de l’expression, les qualités ne manquent pas.


Marie‑Ange Todorovitch parvient sans réelle surprise à en imposer en Geneviève, mais l’Arkel de Patrick Bolleire se détache davantage. La basse, qui promène son immense silhouette fatiguée, incarne un grand‑père sans doute physiquement pas assez vieux et usé, mais le chanteur accorde à son personnage une importance quasiment centrale, par la tessiture, l’intonation et la finesse de la composition. La réussite de la scène intense entre Golaud et Yniold à la fin du troisième acte tient aussi à la prestation remarquable d’Hélory L’Hernaut Roulière. Le choix d’une voix blanche demeure la meilleure option pour le rôle du garçon, surtout que celle de ce jeune chanteur possède suffisamment de clarté dans les aigus.


Et comble de bonheur, la direction superlative de François‑Xavier Roth mérite, à elle seule, le déplacement. Avec l’orchestre Les Siècles, qui présente la particularité de jouer les œuvres avec des instruments appropriés, autrement dit d’époque, et leur répertoire brasse assez large, cette œuvre parait encore plus fascinante et moderne. Sous la conduite scrupuleuse et attentive de leur excellent chef, qui éclaire le caractère moderne et intemporel de cette partition, rendue dans toute sa clarté et sa vitalité, les musiciens développent des sonorités naturelles, plus brutes que sophistiquées, plus franches que ouateuses, encore que leur jeu ne manque ni de précision, ni de finesse, ce qui revêt de la profondeur et de la clarté à cette musique. Cette lecture magistrale, véritable leçon d’interprétation, témoigne d’un travail long et approfondi sur cette partition dont le moindre détail semble avoir fait l’objet d’attention. Cette production à tous points de vue réussie prouve une fois de plus l’excellence artistique de l’Opéra de Lille.



Sébastien Foucart

 

 

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