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La Monnaie
01/29/2023 -  et 31 janvier, 1er, 2, 4, 5, 7, 9, 10, 12, 14 février 2023
Piotr Illyitch Tchaïkovski : Eugène Onéguine, opus 24
Sally Matthews*/Natalia Tanasii (Tatiana), Bernadetta Grabias (Larina), Lilly Jørstad*/Lotte Verstaen (Olga), Cristina Melis (Filipievna), Stéphane Degout*/Yuriy Yurchuk (Eugène Onéguine), Bogdan Volkov*/Sam Furness (Lensky), Nicolas Courjal (Prince Grémine), Kris Belligh (Capitaine), Kamil Ben Hsaïn Lachiri (Zaretsky), Christophe Mortagne (Triquet), Jérôme Jacob‑Paquay (Guillot)
Chœurs de la Monnaie, Jan Schweiger (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu (direction musicale)
Laurent Pelly (mise en scène, costumes), Massimo Troncanetti (décors), Marco Giusti (lumières), Lionel Hoche (chorégraphie)


(© Karl Forster)


Et de deux. Après La Dame de pique, voici Eugène Onéguine (1879). Dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine, programmer durant la même saison deux opéras de Tchaïkovski relève de l’acte politique, mais la Monnaie a mille fois raisons : mettre à l’index la littérature et la musique russes est intellectuellement malhonnête et ne résoudra pas le conflit.


La mise en scène de cette nouvelle production a été confiée, sans trop de risques, à Laurent Pelly. La scénographie, dominée par la couleur noire, frappe tout d’abord par sa simplicité, son dépouillement, même, ainsi que par la rareté des accessoires qui se limitent à des chaises – et encore, pas tout le temps. Les deux premiers actes se déroulent sur une plateforme recouverte de marqueterie et tournant sur elle‑même, tout en étant capable de se surélever, et même de se plier et de se déplier – dans la scène de la lettre, l’analogie saute aux yeux. Dans le troisième, le dispositif se résume à des marches d’escalier, surmontées de simples luminaires circulaires. Tout se concentre donc sur les personnages, et le metteur en scène excelle dans l’occupation de l’espace, les interactions individuelles, les mouvements scéniques.


Mais la dimension purement visuelle de ce spectacle abstrait, qui décevra peut‑être ceux qui attendent dans cette œuvre plus de faste et de réalisme, encore que les beaux et sobres costumes attirent l’attention, confère à la représentation un grand pouvoir d’évocation, celle d’une Russie révolue. La cohérence esthétique constitue ainsi une des principales qualités de cette mise en scène d’une imparable lisibilité, ainsi que la direction d’acteur au scalpel, comme le prouve, à elle seule, la confrontation finale, intense et dramatique, entre Tatiana et Onéguine, même si nous aurions laissé ce dernier seul en scène lors des derniers accords. En regard de la simplicité du décor, intercaler deux entractes se justifie tout de même difficilement.


La Monnaie a prévu une double distribution, et celle de la première fait plutôt honneur à sa réputation. La Tatiana de Sally Matthews laisse à la fois admiratif et sceptique. La prestation témoigne, en effet, d’un solide métier, la voix présente un certain attrait, le chant se révèle soigné, mais l’interprète ne nous touche guère, même si elle se montre plutôt juste, notamment dans une scène de la lettre bien construite. La chanteuse donne maladroitement vie, au début, à la jeune fille amoureuse, mais elle en impose vraiment une fois mariée au comte. La soprano lyrique se glisse ainsi plus aisément dans la peau des personnages matures et d’un certain rang, comme elle l’a prouvé, en novembre, dans la Maréchale, une autre prise de rôle. Ajoutant un nouveau personnage à son répertoire, Stéphane Degout confirme en Onéguine son grand tempérament dramatique et son aptitude assez impressionnante à composer un personnage torturé et complexe, fort, aussi, d’une voix magnétique et solide, et d’un chant maîtrisé, mais il aurait été intéressant d’entendre dans cet emploi un russophone pour profiter d’une intonation et d’un phrasé plus authentiques.


Autre chanteur francophone de grande classe, Nicolas Courjal s’impose sans peine, par la prestance et la voix, en Prince Grémine, un rôle aussi court que déterminant, dans lequel il convient, comme cela est le cas, de marquer immédiatement les esprits, et pas uniquement par le lyrisme et la profondeur des graves. Bogdan Volkov incarne, quant à lui, un Lensky idéal, à la fois de présence, de timbre et de caractérisation, livrant ainsi avec rigueur et générosité une interprétation sensible et touchante. En dépit d’un jeu scénique stéréotypé, qui ne présente toutefois rien de rédhibitoire, l’Olga charmante de Lilly Jørstad attire l’attention par la pulpe et les couleurs de la voix.


Personne ne se déplace pour les petits rôles, dans Eugène Onéguine, mais sans eux, l’opéra perdrait de sa saveur. La Monnaie, heureusement, les a bien distribués. Christophe Mortagne cabotine un peu en M. Triquet, mais dans ce genre de composition, ce ténor de caractère reste une valeur sûre. Artificiellement vieillie, Cristina Melis peine à convaincre en gouvernante, mais physiquement, seulement, car la voix et la présence sont bien celles d’une Filipievna, tandis que Bernadetta Grabias parait à tous points de vue plus crédible en Larina.


Acclamé par le public, l’orchestre épouse avec naturel et conviction le ton et la respiration propres à cette musique. Le directeur musical, Alain Altinoglu, obtient tout particulièrement des bois des sonorités évocatrices et un jeu net, mais les autres pupitres n’en demeurent pas moins excellents. L’orchestre livre ainsi durant toute la représentation une exécution approfondie et détaillée. Privés de production en décembre, les choristes, qui portent, dans le premier acte, des costumes conçus à l’origine pour Le Coq d’or, se rattrapent et livrent le meilleur d’eux‑mêmes : ils fusionnent leurs voix avec précision et souplesse, à l’image des timbres de l’orchestre.


Nous nous réjouissons bien sûr de découvrir Le Nez de Chostakovitch en juin, mais il aurait vraiment été audacieux et extraordinaire de terminer la saison avec Mazeppa.



Sébastien Foucart

 

 

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