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Rêve éveillé Liège Opéra royal de Wallonie 01/20/2023 - et 22*, 24, 26, 28 janvier 2023 Vincenzo Bellini : La sonnambula Jessica Pratt (Amina), René Barbera (Elvino), Marko Mimica (Il Conte Rodolfo), Marina Monzó (Lisa), Julie Bailly (Teresa), Ugo Rabec (Alessio), Benoît Delvaux (Un notaire)
Chœur de l’Opéra royal de Wallonie, Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie, Giampaolo Bisanti (direction musicale)
Jaco Van Dormael (mise en scène), Michèle Anne De Mey (mise en scène, chorégraphie), Vincent Lemaire (décors), Fernand Ruiz (costumes), Nicolas Olivier (lumières), Giacinto Caponio (vidéo)
(© Opéra royal de Wallonie-Liège/Jonathan Berger)
Encore une production victime du covid. Celle‑ci a dû s’interrompre, en mars 2020, juste avant le début des représentations. Presque trois ans plus tard, l’Opéra royal de Wallonie a eu raison de la monter à nouveau : c’est une réussite.
Partenaires à la scène comme à la ville, Jaco Van Dormael et Michèle Anne De Mey signent la mise en scène de cette Somnambule (1831). A l’univers visuel du cinéaste se mêle celui de la chorégraphe dans une belle et naturelle synergie. Pour eux, cet opéra de Bellini repose sur un argument simple, voire simpliste, ce qui incite à conférer à l’action une dimension supplémentaire. L’idée, qui ne présente aujourd’hui plus rien de très original, consiste, dès lors, à doubler chaque chanteur par au moins un danseur ; au moins, en effet, car, assez étrangement, les rôles de Lisa et de Teresa sont représentés chacun par une chanteuse et deux danseuses. Mais chanteurs et danseurs évoluent séparément sur le plateau, n’interagissent pas entre eux.
Au centre d’un dispositif épuré se situe une plateforme dont la surface tantôt se durcit, tantôt s’assouplit, comme un trampoline. Celle‑ci se présente perpendiculairement à un écran sur lequel sont projetées des créations vidéo au sein desquelles s’intègrent merveilleusement les danseurs, dans un séduisant effet de relief. Les chanteurs, quant à eux, incarnent leur personnage autour de ce plateau. La performance des danseurs relève du tour de force, car ils doivent régler leurs gestes et leurs mouvements non seulement sur la musique, mais aussi sur les images projetées. Il faut un temps d’adaptation pour habituer le regard, à la fois, au jeu des chanteurs et à celui des danseurs, mais une admirable harmonie règne sur le plateau. Par leur inventivité et leur maîtrise, Jaco Van Dormael et Michèle Anne De Mey parviennent, dans ce spectacle cohérent et intéressant, à concrétiser leur intention de créer un univers flottant et onirique, fin et sensible, tantôt grave, tantôt léger, en phase avec le livret. En outre, le cinéaste ne néglige pas la direction d’acteur. Tout cela vaut mieux qu’une version de concert.
Autre satisfaction, la distribution, qui fait honneur au beau chant. Belcantiste expérimentée, Jessica Pratt délivre une incarnation juste et sensible d’Amina. Impressionnante et contrôlée, la prestation vocale témoigne de sa longue fréquentation du rôle. Au raffinement du phrasé s’ajoutent la finesse des vocalises, la netteté des aigus, légèrement forcés, certes, mais sans que la voix ne craque, et une puissance remarquablement canalisée. La chanteuse australienne trouve en René Barbera un partenaire à sa hauteur. Ce ténor stylé, à la voix lumineuse et impeccablement projetée, séduit sans réserve. Marko Mimica, lui, campe un solide Rodolfo. Le timbre, ni trop grave ni trop profond, ne manque pas de séduire, et le personnage du comte captive par sa stature, grâce à une adéquation parfaite entre le rôle et les moyens. Et la Lisa au fort tempérament de Marina Monzó constitue une excellente surprise : voix capiteuse, physique avantageux, actrice talentueuse. Voilà une chanteuse à retrouver au plus vite dans un rôle plus central. La fiable et fidèle Julie Bailly soigne sa prestation en Teresa, tandis qu’Ugo Rabec parvient à se démarquer en Alessio par sa voix et ses aptitudes pour la comédie.
Sous la direction de Giampaolo Bisanti, l’orchestre se montre le plus souvent précis, le dialogue entre les bois imparfaitement au point au début du second acte prouvant à quel point l’orchestration de Bellini apparemment si simple comporte de redoutables difficultés d’exécution. Toutefois, la formation confirme sa valeur dans ce répertoire, joue cette musique avec fermeté et élégance, énergie et nuance, dans un équilibre satisfaisant avec le plateau. Assis de part et d’autre de la plateforme, vêtus d’un pyjama en seconde partie, les choristes jouent, dans cet opéra, même immobiles, un rôle important : fidèles à eux-mêmes, ils chantent avec rigueur et éloquence.
Sébastien Foucart
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