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Autour de Didon et Enée

Madrid
Teatros del Canal
01/17/2023 -  et 18*, 20, 21, 22 janvier (Madrid), 17, 18, 19 mars (Versailles), 17, 18, 20, 21, 22 juin (Barcelona) 2023
Henry Purcell : Dido and Æneas, Z. 626 – Celestial music did the Gods inspire, Z. 322
Lea Desandre*/Helen Charlston/Kathryn Lindsey (Didon), Renato Dolcini (Enée, La sorcière), Ana Vieira Leite (Belinda), Maud Gnidzaz, Virginie Thomas (Sorcières), Jacob Lawrence (Un marin), Michael Loughlin Smith (Un esprit), Compagnie Blanca Li
Blanca Li (mise en scène, chorégraphie), Pierre Attrait (dramaturgie), Caty Olive (lumières), Evi Keller (décors, création matière-lumière)
Les Arts Florissants, William Christie (direction musicale)


L. Desandre (© Pablo Lorente)


Un beau spectacle, dont la beauté a pour compagne une incontestable incohérence. C’est chose habituelle : la danse et une situation dramatique s’excluent l’une l’autre, et l’insistance à les associer le prouve encore et encore, même si l’on y insiste encore et encore. Notre compte rendu de la mise en scène de La Somnambule était un témoignage contre la coexistence entre le belcanto, une situation dramatique et la danse contemporaine. Mais ce n’est pas le même cas. L’opéra de Purcell est trop court, peut‑être s’agit‑il d’un long fragment d’une pièce plus longue, la corrosion du temps a travaillé contre cet opéra, même si le temps a su conserver au mois ces cinquante minutes de développement de la légende amoureuse et politique. Certaines séquences instrumentales pourraient réclamer la danse, mais on ne peut pas être tout à fait sûr de l’origine de ces parties, trop complémentaires pour être véritables. Entre le Prologue non purcellien et ces séquences (on complète la courte partition, et on réussit à obtenir un sens supérieur en tant que spectacle), on obtient un ballet parfois très beau, même si très souvent, on doit imaginer la Méditerranée des héros antiques peuplée de baigneurs, de touristes jeunes, agiles, graciles (elles, surtout, excusez‑moi). L’eau, au moins une humidité omniprésente, aide aux danseurs dans leurs cabrioles, leurs sauts graciles. Trop d’eau, et cela signifie quelque chose, dans une histoire de politique, après‑guerre et larmes dans l’extrême‑orient de la Méditerranée ; mais le but est l’Italie antique, selon la légende sublimée dans L’Enéide.


Ce titre purcellien est bien connu des Arts Florissants, de ses musiciens, de ses voix, spécialement de son directeur, William Christie. Cette fois‑ci, ils mettent leur expérience, plutôt leur tradition déjà bien établie mais en même temps flexible, au service de l’expérience artistique et scénique de Blanca Li, une collaboratrice de la compagnie : il faut se rappeler des Indes galantes inoubliables du Palais Garnier, cela fait longtemps, trop longtemps (voir ici). Ce fut un succès, et cette fois‑ci on a essayé quelque chose de semblable. En tant que spectacle, très bien, encore un succès. Mais il faudrait oublier qu’on est autour d’une pièce consistant en chant et action dramatique, même si l’opéra qu’on conserve a une tendance hiératique, statuaire. En tant qu’opéra, une mise en scène qui transforme les protagonistes en pièces de musée, enveloppées ; ou peut‑être en saints d’une paroisse où l’on aime les dorures. En tout cas, quelque chose de castrant pour les trois protagonistes et de décevant pour les spectateurs.


Alors, il faut jouir de la beauté de cette production sans savoir qu’il y a un rapport entre la danse, le mime, le chant et le drame. Les danses sont belles, le concept est lucide, les danseurs sont peut‑être insurpassables... mais que font‑ils là‑dedans ?


Insurpassable aussi d’un point de vue musical, comme troupe, comme groupe, mais aussi en tant que musiciens individuels, avec l’incroyable William Christie à la barre (au clavecin, cette fois‑ci). Les voix individuelles, en dehors des voix du groupe formant parfois comme un petit chœur, sont artistiquement supérieures.


Le baryton Renato Dolcini, expérimenté dans les répertoires de cette époque, est un Enée à la dimension héroïque réclamée par la légende, mais il se dédouble pour chanter le rôle de la Sorcière, tête de la conspiration contre Didon. Si la Sorcière est l’expression majeure de la jalousie des profondeurs, la même voix (Dolcini) chante le contraire, le héros commandé par le destin de son peuple et le guide des dieux ; c’est ainsi que Dolcini chante les deux rôles opposés qui vont cependant tous les deux contre l’accomplissement de l’amour et de la prudence politique. Une surprise, la soprano portugaise Ana Vieira Leite, voix lyrique, voix douce, plaintive avant la plaint de la reine, une formidable artiste très jeune. Enfin, Lea Desandre, chanteuse lyrique mais particulièrement voix pour les siècles baroques dans des ensembles qu’on appelle aujourd’hui « de chambre ». La carrière de cette voix magnifique offre un moment... comment dire ?... sacré, magique. Mais la magie n’est jamais le produit de la grâce, même si Lea Desandre a, entre autres, une espèce de grâce qui vient de la hauteur.


Est‑ce qu’on exagère ? Insistons donc : ce spectacle autour de Didon et Enée était beau et parfois émouvant... malgré tout.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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