About us / Contact

The Classical Music Network

Baden-Baden

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Ensemble

Baden-Baden
Festspielhaus
01/08/2023 -  
Giuseppe Verdi : Ouvertures, airs et duos extraits de La forza del destino, I vespri siciliani, Otello et Don Carlo
Amilcare Ponchielli : Airs et duos extraits de La Gioconda

Jonas Kaufmann (ténor), Ludovic Tézier (baryton)
Deutsche Radio Philharmonie, Jochen Rieder (direction)


L. Tézier, J. Kaufmann (© Michael Bode/manolopress)


Ludovic Tézier et Jonas Kaufmann se sont beaucoup croisés et recroisés sur les scènes internationales depuis plus de dix ans : des productions d’opéra qui ont fait date, à Londres, Paris, Munich, Vienne, des enregistrements, des tournées de concerts, dont même un Andrea Chénier ensemble aux antipodes... d’assez fréquentes collaborations, à l’origine d’une véritable relation d’estime mutuelle et d’amitié. Pour le grand public, cette connivence s’est concrétisée de façon encore plus visible avec le récital discographique « Insieme », enregistré à Rome en avril 2021. « Le roi des barytons et le prince des ténors » titrait récemment la revue Diapason : on peut toujours ergoter sur les titres nobiliaires, mais, effectivement, on se trouve bien en présence de deux des représentants les plus en vue du Gotha lyrique du moment. Alors, à un tel niveau de notoriété, mieux vaut qu’en plus l’entente soit cordiale.


Et, manifestement, elle l’est. Le rituel d’un gala lyrique, avec ses fréquentes allées et venues et son ordonnancement de programme soigneusement millimétré, est à cet égard encore plus révélateur qu’un opéra mis en scène. Ces deux‑là s’accordent bien ensemble, et pas simplement pour s’attirer la sympathie de la galerie. On les ressent à l’affût l’un de l’autre, attentifs, complices, même quand il s’agit de s’afficher antagonistes voire violents. Car, à l’opéra, statistiquement, ténor et baryton ont beaucoup plus de chances d’être rivaux qu’amis. « Lui, c’est le méchant, il joue toujours mes ennemis » déclare volontiers Kaufmann à propos de son collègue, avant d’ajouter « c’est pour ça que je l’aime tant ».


Pour autant, et même si l’entente artistique et humaine ne fait ici pas le moindre doute, se retrouve‑t‑on vraiment dans la confrontation italienne classique d’un baryton à la voix de bronze et au souffle inépuisable et d’un ténor au timbre plus clair et à l’aigu facile voire claironnant ? Des deux, Ludovic Tézier reste de loin le plus idiomatique, avec un chant d’une élégance de phrasé et de legato digne d’un violoncelliste, tout en conservant une diction irréprochable. Sa caractérisation des rôles est soigneusement élaborée, avec un vrai sens théâtral, qui nous fait bien ressentir la méchanceté foncière d’un Barnaba ou d’un Iago. Pour autant, et même s’ils se sont notablement assombris ces dernières années, les moyens vocaux de Ludovic Tézier restent avant tout français, au service d’interprétations davantage construites et calculées que vraiment impérieuses, physiques, latines. Il manquera toujours à ce chant d’une élégance irréprochable un rien de noirceur véritable, mais on l’oublie d’autant plus facilement qu’ici l’art cache parfaitement l’art.


Que dire en revanche du chant italien de Jonas Kaufmann, qui n’ait pas déjà été relevé, voire suscité des polémiques sans fin ? Même si elle s’est notablement assainie au cours de dix dernières années, cette émission tout en velours et en harmoniques sombres ne parviendra vraisemblablement jamais à complètement s’affranchir de compromis techniques plus ou moins bien négociés d’un soir à l’autre. Le miracle étant qu’en dépit de tensions parfois énormes sur la quinte aiguë, l’instrument résiste, et surtout que l’artiste parvienne à nous faire prendre avec autant de désarmante simplicité tous ces détimbrages et sons blanchis, aux limites de l’étranglement, pour un surcroît d’expression. Le duo Marcello/Rodolfo de La Bohème donné en bis, donc à la fin d’un programme lourd, est encore plus révélateur du problème, avec à chaque montée du ténor vers l’aigu des poussées en force dans les résonateurs qui relèvent davantage de la contorsion spasmodique que du beau chant. Et pourtant, ça marche ! Même problème pour la conclusion de la romance « Cielo e mar » de La Gioconda, en principe à la portée de tout bon ténor italien à la voix claire et bien assurée, et dont l’élégance, certes réelle, paraît conquise au prix d’une véritable lutte. Ce soir, de surcroît, l’instrument vacille de temps à autre et l’accident vocal n’est parfois évité que de justesse, en particulier dans Otello. Là le partenariat avec Tézier s’avère même salvateur, le duo « Tu?! Indietro! » permettant opportunément aux deux voix de se confondre, la plus solide venant épauler les éclats souvent bien fatigués de l’autre.


Il est vrai aussi que contrairement à l’apport décisif d’Antonio Pappano au disque, la Deutsche Radio Philharmonie de Jochen Rieder n’aide jamais les deux voix à trouver un espace de projection plus libre. Dans « Credo in un Dio crudel » d’Otello, l’orchestre fait même barrage, beaucoup trop fort, et partout ailleurs la respiration naturelle et l’élan de cette musique paraissent laissés à l’initiative des seuls chanteurs, l’accompagnement se contentant de rester fonctionnel. Un orchestre sans réelles défaillances mais jamais intéressant pour lui‑même, y compris là où il y aurait pourtant de vrais moments de beauté à conquérir (le solo de clarinette de « La vita è inferno all’infelice » de La Force du destin, ici d’une platitude curieusement indifférente).


En dépit de ces réserves, une telle soirée, dans un Festspielhaus de Baden‑Baden rempli du haut en bas et chauffé à blanc, est de celles que l’on n’oublie pas. Retransmise en direct par Arte, on pourra d’ailleurs la retrouver encore quelques mois sur le site Arte Concert. Et puis il y a aussi le disque Sony, au programme similaire (mais avec le duo Don Carlo/Posa en français et non, comme ici, en italien). Des souvenirs à garder précieusement, de deux des plus captivants tempéraments de chanteurs de l’époque.

Le concert en intégralité sur Arte Concert :






Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com