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L’apothéose de Nadine Sierra à Madrid

Madrid
Teatro Real
12/15/2022 -  et 16, 18, 19, 23, 26*, 27, 29, 30 décembre 2022. 2, 3, 4, 5 janvier 2023
Vincenzo Bellini : La sonnambula
Nadine Sierra*/Jessica Pratt (Amina), Xabier Anduaga*/Francesco Demuro (Elvino), Rocío Pérez*/Serena Sáenz (Lisa), Roberto Tagliavini*/Fernando Radó (Le comte Rodolfo), Monica Bacelli*/Gemma Como‑Alabert (Teresa), Isaac Galán (Alessio), Gerardo López (Un notaire)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Maurizio Benini (direction musicale)
Bárbara Lluch (mise en scène), Christof Hetzer (décors), Clara Peluffo (costumes), Urs Schönebaum (lumières), Iratxe Ansa, Igor Bacovich (chorégraphie)


N. Sierra (© Javier del Real/Teatro Real)


La Somnambule est un opéra semi‑seria, loin du bouffe, encore plus loin des tragédies de l’Antiquité fictive de l’opera seria. Un milieu populaire, voire bourgeois, tout comme dans La Mère coupable (Beaumarchais, théâtre) ou La Pie voleuse (Rossini, opéra) et d’autres opéras dont la naissance se situe vers la fin de l’Ancien Régime et qui se développent à partir de « spécialités » comme la comédie larmoyante. Avec La Somnambule, on peut pleurer, pourquoi pas, mais la joie du chant vaincra toujours les péripéties et les souffrances de l’héroïne : Amina ou la candeur blessée. Il reste un bon témoignage « Ancien Régime » dans le livret de Felice Romani, inspiré par Scribe : la présence décisive du seigneur du château, dominant le peuple des voisins d’Amina, Elvino et l’intrigante Lisa. En même temps, il y a un signe de la découverte des « maladies » féminines, une préoccupation surtout masculine qui hantera tout le siècle (et on n’est qu’en 1831). Mettre en scène cette communauté de paysans aimables mais en même temps pleins de préjugés ne devrait pas montrer de spéciales difficultés. On dirait que, avec les costumes de Clara Peluffo, Bárbara Lluch fait un voyage vers les personnages de La Lettre écarlate de Hawthorne, par exemple. Et le personnage du seigneur transforme la scène des noces (ah, Lo sposalizio) en tableau de la fête de Zerlina et Masetto. Lluch a tout à fait le droit de suggérer qu’à la fin, Amina ne veut rien savoir d’Elvino ni de son village : c’est raisonnable, Elvino est jaloux plus qu’aimant, et cela tout le temps, et la ville est hostile à la fille dès le moindre soupçon. Elvino pourrait pardonner – ouf ! – mais et les gens, les chuchotements, la méchanceté des voisins ? De toute façon, mettre huit danseurs (formidables, d’ailleurs) pour expliquer tout cela, au milieu de la scène, va contre l’intelligibilité du tout et, en même temps, contre l’attention au détail. Malheureusement, c’est une mode pour les metteurs en scène qui cherchent toujours quelque chose, comme si l’on avait besoin d’une danse saccadée pour exprimer ce que Romani et Bellini n’ont pas convenablement réussi. Autrement dit, ils n’avaient pas, à l’époque, la lucidité que nous avons aujourd’hui : les danseurs sont donc là pour l’expression des fantômes, du mal, des préjugés, de la société fermée, des diables qui hantent la pauvre fille..., tout ce qu’on ne savait pas en 1830. La mise en scène de L’Ange de feu du Mariinski, avec ses diables toujours présents et accablants, est veille de plus de trente ans : ça suffit ! Ce n’est pas une mise en scène manquée, mais un récit trop explicite avec des erreurs comme la conversion du seigneur en vieille crapule, ou proche parent de Don Juan... et avec des danses inutiles et déroutantes.


Deux distribution pour La Somnambule, toutes les deux avec deux rôles‑titres d’une hauteur artistique incontestable. La seconde distribution aurait pu nous réjouir avec Jessica Pratt, qui a chanté le rôle d’Amina un peu partout, mais dans la première, on a eu le privilège d’entendre une des voix vraiment sublimes de notre époque, celle de la jeune Américaine Nadine Sierra. La représentation du 26 décembre a été un triomphe incontestable pour cette soprano, certainement grâce à son travail et à sa construction du personnage. Nadine Sierra a conquis le public d’entrée, de son aria « Come per me sereno » jusqu’à la scène finale, celle du somnambulisme et la résolution de la crise. Et le public a réagi, charmé, avec des ovations sans fin. C’est vrai que le temps a fait son œuvre, et aujourd’hui Amina est un défi pour les voix de soprano, malgré l’origine plus grave de sa ligne. En même temps, on ne verra pas très souvent des moments de triomphe tels que celui‑ci. Et on ne verra pas souvent la double joie, précise, concrète : la joie du public et la joie de la jeune Nadine Sierra (jeune, mais elle n’est plus une gamine), dont le bonheur était évident, la joie de chanter, la joie de donner tout et de recevoir la récompense méritée. Le rôle de Lisa devrait être réservé à une mezzo, si l’héroïne est une soprano, mais il semble que le temps ait fait son œuvre ici aussi. La soprano madrilène Rocío Pérez a chanté une formidable Lisa, et son rôle commence dès le début de l’action, avec sa cavatine « Tutto é gioia, tutto è festa », réussie grâce à une voix belle et pleinement expressive, et en même temps un signal dramatique qui nous place déjà dans le conflit de la jalousie et le grief. Le triangle se ferme, du côté masculin, avec l’Elvino de Xabier Anduaga, puissance et belle couleur, et malgré son expérience dans Donizetti, par exemple, on a l’impression qu’il a des dispositions pour des écoles plus tardives. Le quintette vocal est complété de façon heureuse par la voix claire et pleine de nuances de Roberto Tagliavini et par l’intervention de Monica Bacelli, un grand luxe, on l’aura remarqué, pour un petit rôle, même important.


Maurizio Benini, dans la fosse, a donné un sens dramatique et lyrique au drame : des couleurs claires, une aide aux voix solistes en modulant le volume de l’orchestre et des nuances, une constante dont la présence ne se perçoit pas facilement, mais dont l’absence se fait tout de suite sentir. La clarté de l’orchestre est un des atouts de ce spectacle formidable. Soutenu et appuyé par le formidable Chœur du Teatro Real et la troupe des acteurs. Un de nos confrères a écrit que cette Amina de Nadine Sierra est pour l’histoire et la légende. Ce n’est pas excessif.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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