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Une interprétation de haute volée Lyon Opéra 12/16/2022 - et 20, 22, 26, 28, 30 décembre 2022, 1er janvier 2023 Leonard Bernstein : Candide Paul Appleby (Candide), Sharleen Joynt (Cunégonde), Derek Welton (Pangloss), Sean Michael Plumb (Maximilien), Thandiswa Mpongwana (Paquette), Tichina Vaughn (La vieille dame), Robert Lewis (Charles Edward, Premier inquisiteur, Juge, Un escroc, Un alchimiste, Senor 1), Peter Hoare (Le gouverneur, Vanderdendur, Ragotski), Pawel Trojak (Martin, Deuxième inquisiteur, Juge, Le capitaine, Herman Augustus, Un ferrailleur), Pete Thanapat (Tsar Ivan, Troisième inquisiteur, Juge, Un croupier, Senor 2), Tigran Guiragosyan (Le sultan Ahmet), Antoine Saint Espès (Un montreur d’ours, Stanislas), Paolo Stupenengo (Un docteur), Didier Roussel (Un marchand de cosmétiques)
Chœurs de l’Opéra de Lyon, Benedict Kearns (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Wayne Marshall (direction musicale)
Daniel Fish (mise en scène), Andrew Lieberman, Perrine Villemur (décors), Terese Wadden (costumes), Eric Wurtz (lumières), Annie B Parson (chorégraphie)
(© Bertrand Stofleth)
Souvent proposée en version de concert, l’opérette comique Candide (1956, ici donnée dans sa version révisée en 1989) a connu une création tardive en France, à Saint‑Etienne en 1995, avant que le Théâtre du Châtelet ne fête en 2006, dans une mise en scène inventive de Robert Carsen, le cinquantenaire de la création de l’ouvrage. Si le spectacle parisien avait adapté les dialogues, celui proposé à Lyon va plus loin encore en les supprimant totalement pour leur préférer des aphorismes résumant la pensée philosophique voltairienne. Sans temps morts, le spectacle enchaîne ainsi les numéros musicaux avec de brèves interventions du narrateur, en mettant au second plan la lisibilité de la fable et sa succession de péripéties en forme de récit d’apprentissage. L’acceptation d’un tel parti pris, qui n’aide pas la compréhension globale pour le spectateur peu familier de l’ouvrage, peut surprendre de la part du directeur de l’Opéra de Lyon, Richard Brunel, pourtant venu du théâtre. Peu de temps après une controversée Belle au bois dormant avec les mêmes défauts (voir ici), on s’interroge sur cette tendance à l’appauvrissement des ouvrages, contestable autant sur le principe qu’au regard des résultats obtenus.
Que penser, en effet, de la mise en scène illustrative et interchangeable de Daniel Fish, si ce n’est qu’elle n’apporte rien à la compréhension du livret ? Le problème n’est pas tant de supprimer l’ensemble des éléments de décors pour laisser évoluer les protagonistes sur le plateau nu, mais bien de proposer une déambulation sans but apparent, dont seules les mimiques alambiquées des danseurs provoquent quelques (rares) rires dans le public. Si l’on se désintéresse rapidement de ce travail paresseux (et copieusement hué en fin de représentation), qui ressemble davantage à une banale mise en espace agrémentée de mouvements chorégraphiés, le plaisir vient de l’exécution musicale, menée de main de maître par l’un des grands spécialistes de ce répertoire, le Britannique Wayne Marshall. L’ancien chef principal du Funkhausorchester de la WDR de Cologne (un des derniers ensembles allemands dédié à la musique « légère »), entre 2014 et 2020, embrase les troupes locales dès les premières notes de la célébrissime ouverture : on ne peut que rendre les armes devant son sens du swing et de l’élan narratif, en un geste vif et cinglant qui distingue parfaitement la clarté des plans sonores. Les admirateurs de ce génial trublion ne manqueront pas de le retrouver pour le concert du Nouvel An à Lyon, « Un Réveillon à Broadway ».
En attendant, il faut aller applaudir le plateau vocal réuni pour cette production de Candide, qui réchauffe le cœur à force d’homogénéité au meilleur niveau. Ainsi du rôle‑titre interprété par Paul Appleby (Candide), qui ravit par la beauté de son timbre, sa noblesse de phrasés et sa longueur de souffle, même si l’on aimerait davantage de projection pour complètement nous emporter. Rien de tel en comparaison pour Sharleen Joynt (Cunégonde), aux vocalises agiles et aux pianissimi de rêve, qui impose son sens du swing tout au long de la soirée. On aime aussi l’aisance vocale mordante de Robert Lewis, grande révélation du spectacle, de même que Sean Michael Plumb (Maximilien), très investi tout du long. Tichina Vaughn (La vieille dame) impose quant à elle sa présence scénique, parvenant à un subtil équilibre entre brio lyrique et glamour façon Broadway, de même que Pawel Trojak, au timbre grave irrésistible de fraîcheur rayonnante.
Malgré la proposition scénique décevante, il faut courir découvrir ce chef‑d’œuvre pétillant d’invention de Bernstein, qui fouille sa partition en hommage à l’héritage européen – de Kurt Weill à Honegger. De quoi découvrir une musique toujours accessible, mais plus ambitieuse que le bien connu West Side Story (1957).
Florent Coudeyrat
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