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Domingo met le feu

Baden-Baden
Festspielhaus
11/26/2022 -  
Giuseppe Verdi : Ouvertures, airs et duos d’opéras
María José Siri (soprano), Ivan Magrì (ténor), Plácido Domingo (baryton)
Philharmonie Baden-Baden, Massimo Zanetti (direction)


M. Zanetti, P. Domingo (© Manolo Press/Michael Bode)


Ce n’est pas pour la modeste Philharmonie Baden‑Baden que le Festspielhaus s’est rempli ce soir jusqu’à la dernière place debout. Un orchestre au demeurant digne, même si l’homogénéité des timbres n’est pas son fort et que l’ensemble sonne sans luxe, avec même parfois quelques cafouillages vite rattrapés. Sous la baguette de Massimo Zanetti, bon spécialiste de l’opéra italien, l’essentiel reste sauf : d’énergiques lectures des classiques Ouvertures de La Force du destin, Les Vêpres siciliennes et Nabucco, applaudies de bon cœur, mais dépourvues de panache particulièrement exaltant. La Philharmonie Baden‑Baden, dont l’histoire est intimement liée à celle de la station thermale, peut cependant s’enorgueillir de fréquentations prestigieuses à toutes les époques, y compris celle de Verdi : Rossini, Paganini, Vieuxtemps, Liszt, le couple Schumann, Saint‑Saëns... ont joué avec cet orchestre.


Ce n’est pas non plus, ni pour la soprano uruguayenne María José Siri, ni pour le ténor italien Ivan Magrì que la salle est comble. Des voix cependant intéressantes, même si des lacunes demeurent, au moins pour la soprano, et ce en dépit d’une carrière internationale déjà bien entamée. La voix est belle, chaude, ronde, mais l’articulation reste dans le flou et le geste artistique manque de conviction, comme si un rien de timidité empêchait systématiquement les héroïnes abordées d’afficher un caractère plus trempé. Peut-être le handicap de l’extrait chanté en concert joue-t-il aussi au détriment de ces incarnations trop pâles, qui significativement prennent davantage forme à la fin des airs. Que ce soit pour « Pace, pace o mio dio » de La Force du destin ou « Tu che la vanità » de Don Carlo, ce ne sont que les dernières phrases qui se calent avec la véritable autorité nécessaire.


Le cas d’Ivan Magrì est moins problématique. Certes, commencer à froid par le redoutable « Quando le sere al placido » de Luisa Miller reste un écueil, même pour les voix de ténor les plus aguerries, et ici le pari n’est pas gagné, avec un timbre un peu métallique et des aigus pas vraiment agréables. Mais le tableau s’améliore ensuite, et l’autre pari de la soirée, le redoutable enchaînement de l’aria « Ah! si, ben mio » avec la cabalette « Di quella pira » du Trouvère est assumé avec une belle conviction, y compris un valeureux contre‑ut final.


Mais de toute façon, la seule chose qui compte vraiment pour le public, est que Plácido Domingo ait fait le déplacement. La salve d’applaudissements nourris qui salue son entrée, alors même que l’orchestre a déjà attaqué le préambule de la scène « Perfidi!... Pietà, rispetto, amore » de Macbeth, ainsi que l’évident frisson de satisfaction qui parcourt la salle lors de l’apparition de cette silhouette si familière, en attestent suffisamment. Mais, au‑delà d’un évident coefficient de sympathie, voire de ce qui relève déjà, et de plein droit, de la légende, que reste‑t‑il aujourd’hui, d’un tel phénomène ? Eh bien, largement de quoi rester ébahi, toutes considérations d’âge oubliées.


Le timbre est resté... celui de Plácido Domingo, immédiatement reconnaissable, avec toujours la même fierté cuivrée de l’accent, une projection saine, et un souffle à peine un peu plus vacillant et court que naguère. Le changement officiel de tessiture, de ténor hier à en fait toujours ténor aujourd’hui, mais bénéficiant du confort barytonal de quelques notes en moins en haut et de quelques notes de plus en bas, ces dernières davantage esquissées que vraiment atteintes, reste une sorte d’alibi, puisque pour l’essentiel rien n’a changé. Des moyens naturels tellement éloignés de tout artifice technique construit qu’ils perdurent et résistent à tout. Comment ne pas penser ici à un autre phénomène vocal à la fois très différent mais d’une santé similaire : le défunt ténor suisse Hugues Cuénod, qui s’amusait à dire qu’il n’avait jamais perdu sa voix parce qu’en fait il n’en avait jamais eu. Chez Domingo, le secret relève quelque part d’une santé analogue : l’exclusivité de moyens parfaitement naturels, le perfectionnement technique acquis restant tout juste un garant de longévité.


Certes les apparitions du vétéran sont désormais très calibrées, courtes en solo, Macbeth et l’aria « Dio di Giuda » de Nabucco, en omettant prudemment la cabalette qui en principe devrait suivre, plus développées en duo avec les « jeunes » collègues : « Invano Alvaro ti celasti al mondo » de La Force du destin avec Ivan Magrì (lequel doit ici se confronter à nos souvenirs, encore tellement vivaces... de Plácido Domingo dans ce même rôle d’Alvaro, alors que ce dernier chante maintenant l’antipathique Don Carlo, dont il a, à vrai dire, un peu de mal à endosser les aspects méchants), « Teco io sto » d’Un bal masqué (mais oui, et là, c’est passé un peu inaperçu, c’est bien un rôle de ténor que Domingo chante encore, avec une véritable autorité) et « Udiste? Come albeggi » du Trouvère, où Domingo parvient encore à incarner la passion dévorante du Conte di Luna avec une certaine crédibilité. On notera aussi un amusant ballet de pupitres symétriques, apportant au besoin le secours de partitions dont on comprend vite qu’elles ne sont utiles que pour pallier d’éventuels trous de mémoire de la star de la soirée, mais qui semblent, au moins pour ce concert, rester assez facultatives.



P. Domingo, M. J. Siri (© Manolo Press/Michael Bode)


Deux bis, qui ne volent pas haut, « Lippen schweigen » de La Veuve joyeuse de Lehár, et un « Brindisi » à trois de La Traviata avec claquements de mains obligés, mais qui concluent ce gala dans une sincère bonne humeur. Frisson d’extase dans le public quand Domingo esquisse, sur la musique de Lehár, quelques pas de valse avec sa soprano d’un soir !


Ce pourraient être les derniers feux, un peu douloureux, d’une star complètement has been. Eh bien non, à presque 82 ans pourtant, c’est tout autre chose. Sacré Domingo !



Laurent Barthel

 

 

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