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D’une Résurrection à l’autre Paris Philharmonie 11/30/2022 - et 1er décembre 2022 Betsy Jolas : Latest (création)
Gustav Mahler : Symphonie n° 2 Mari Eriksmoen (soprano), Wiebke Lehmkuhl (contralto)
Chœur de l’Orchestre de Paris, Ingrid Roose (cheffe de chœur), Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä (direction)
K. Mäkelä (© Mathias Benguigui/Pasco And Co)
Un mois après Mikko Franck, Klaus Mäkelä dirige la Résurrection mahlérienne. Si les deux Finlandais se rejoignent par la stupéfiante maîtrise de la partition, ils diffèrent par son approche. Dès le « Totenfeier », le directeur de l’Orchestre de Paris pousse jusqu’à leur extrême les contrastes dynamiques ou expressifs, aidé par une phalange se hissant aux côtés des plus grandes. Quitte à ce que le fil du discours se relâche parfois un peu même s’il reste très architecturé, la musique de Mahler paraît plus cyclothymique que jamais, avec ses accès de lyrisme écorché vif, ses visions d’une noirceur hallucinée. Mikko Franck se montrait sans doute plus constamment unitaire, mais Klaus Mäkelä dirige ici, plus que son aîné, une musique de l’effroi. Dans l’Andante moderato, il souligne davantage la Gemütlichkeit viennoise, restituant avec gourmandise les séductions souriantes du Ländler, avant que le Scherzo se mette à grincer narquoisement : pour ces deux mouvements, le chef impose à ses musiciens un souci du détail et des raffinements coloristes stupéfiants. Wiebke Lehmkuhl l’emporte par la sûreté de la ligne et la beauté du timbre sur Gerhild Romberger , tout en restant encore trop attachée à la terre – c’est une Erda, après tout. On préfère aussi à Golda Schultz Mari Eriksmoen, plus noble de phrasé, plus éthérée également. Le final, néanmoins, à cause d’une forme moins rigoureusement intégrée que le premier mouvement, accuse les limites de l’approche de Klaus Mäkelä : l’exacerbation des contrastes se révèle ici moins pertinente, là où Mikko Franck conciliait la puissance de la vision et la cohérence de la structure. On n’en est pas moins ébloui par la somptuosité de l’orchestre, que rejoint un chœur homogène et nuancé.
La symphonie succédait à la création de Latest d’une Betsy Jolas qui, aujourd’hui âgée de 96 ans, n’a rien perdu de son superbe artisanat. « Latest » parce que cette commande des orchestres de Paris, de la Radio bavaroise et de San Francisco devait constituer son testament musical... avant qu’elle accepte une autre commande, de Sir Simon Rattle et de ses Londoniens. On traduira donc l’adjectif anglais par « plus récent » plutôt que par « dernier ». Transparence chambriste des textures, raffinement des combinaisons de timbre, bribes de mélodies, elle reste remarquablement fidèle à elle‑même dans cette page à la fois unitaire et discontinue, où les percussions abondent et où l’on entend à la fin la voix des musiciens. A l’heure où les œuvres de certains de ses cadets s’apparentent à une restauration, elle perpétue la modernité des années 1970‑1980... sans se refuser des clins d’œil à la basse d’Alberti.
Didier van Moere
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