About us / Contact

The Classical Music Network

Fontainebleau

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Proquartet invite la guitare

Fontainebleau
Salle des colonnes du Château
03/02/2002 -  

Elliott Carter : Changes - Quatuor n° 5
Wolfgang Amadeus Mozart : Quatuor K. 387
Jean-Sébastien Bach : Suite pour luth BWV 997 (transcription pour guitare)
Suzanne Giraud : Envoûtements V



Caroline Delume (guitare), Quatuor Diotima


Programme d’une parfaite symétrie pour ce concert donné au Château de Fontainebleau, dans la remarquable acoustique de la Salle des colonnes, sous les bénéfiques auspices de Proquartet : deux pièces pour guitare, l’une classique, l’autre contemporaine, et deux quatuors, l’un classique, l’autre contemporain, viennent former comme un écrin pour une cinquième pièce, création associant la guitare et le quatuor, qui vient couronner le tout.


Il revient à Caroline Delume d’ouvrir aussi bien la première que la seconde partie du concert. Les huit minutes de Changes (1983) d’Elliott Carter font alterner, dans une dialectique très théâtrale, de violents accords fortement résonants et des passages très rapides, comme improvisés. Dans la Suite en ut mineur pour luth de Bach, transcrite pour guitare, le passage de treize à six cordes et la richesse de la polyphonie (fugue initiale) rendent l’exécution extrêmement périlleuse, malgré sa transposition dans une tonalité (en la mineur) plus favorable à l’instrument. Une fois réglés quelques petits problèmes d’accord, la guitariste offre notamment une fort belle interprétation de la sarabande.


Le jeune Quatuor Diotima, de son côté, donne deux œuvres apparemment on ne peut plus opposées. Le Quatuor en sol majeur (K. 387) de Mozart, premier de la série dédiée à Haydn, bénéficie d’une lecture contrastée, analytique plutôt que délibérément tournée vers l’expression, mettant en valeur le contrepoint et l’agencement des voix (finale fugué). Cette approche sans concessions, quoique d’un engagement total et non dépourvue d’humour (finale), convient aux zones d’ombre, voire à l’austérité (menuet) de cette partition. Ceci étant, l’émotion naît également du jeu intériorisé des musiciens, notamment dans l’andante cantabile.


Carter a composé son Cinquième quatuor en 1995, alors qu’il était âgé de quatre-vingt-sept ans. En vingt et une minutes et douze sections enchaînées (une introduction, six mouvements et cinq interludes), la diversité des climats et la virtuosité de l’écriture ne trahissent pourtant jamais l’âge du compositeur. Les interludes, dont certains laissent une certaine place à l’aléatoire, mettent en valeur les différentes composantes du quatuor, qui s’expriment de façon véhémente dans des récitatifs de nature dramatique. Ils assurent également une fonction de transition entre les techniques et les thèmes qui caractérisent les mouvements successifs. Après un giocoso qui, dans ses gestes brefs mais expressifs, évoque Webern, le lento espressivo, malgré une grande économie de moyens (des accords dont l’intensité sonore change lentement), démontre une grande capacité de suggestion. La légèreté frénétique du presto scorrevole évoque l’esprit du presto delirando de la Suite lyrique (qui se compose d’ailleurs également de six mouvements), tandis que l’alto tient un rôle central dans le dense allegro energico. La quasi-immobilité de l’adagio sereno, fondé sur les seules notes harmoniques, contraste avec le capriccioso final, qui passe en revue tous les modes de pizzicato. Les musiciens, particulièrement le violon d’Eiichi Chiijiwa et l’alto de Franck Chevalier, s’illustrent avec une énergie et une force de conviction admirables.


L’association entre un quatuor à cordes et une guitare a, c’est le moins que l’on puisse dire, été fort peu pratiquée (Boccherini, Castelnuovo-Tedesco) jusqu’à ce jour. Précédée d’un atelier-concert luxueusement pédagogique - avec mise à disposition, pour une somme modique, de la partition - la création d’Envoûtements V de Suzanne Giraud avait donc de quoi tenir en haleine. D’autant que le compositeur poursuit ainsi le processus amorcé avec les précédentes pièces éponymes, Envoûtements I à Envoûtements IV, dont le numéro désigne à la fois l’ordre de composition et le nombre d’instruments requis. Cette rencontre entre le quatuor et la guitare n’est pas seulement le fruit du hasard ou d’un assez redoutable défi (assurer l’équilibre entre les archets et les cordes pincées) : non seulement le compositeur a déjà deux quatuors à son actif, dont Envoûtements IV, mais l’écriture récente d’une pièce pour guitare, Eclosion (1999), a également inspiré le souci de ne pas laisser perdre l’expérience acquise à cette occasion, tant il est délicat d’écrire pour cet instrument lorsqu’on ne le pratique pas.


Par « cercles d’envoûtements » successifs, la construction est fermement établie et déterminée minutieusement par l’harmonie des proportions architecturales des édifices de la Renaissance ou par la section d’or, comme chez Bartok ou Berg. Si les quatorze minutes se déroulent de manière continue, deux parties, chacune formée de deux sections, n’en apparaissent pas moins clairement, chaque section ayant son tempo, ses thèmes - exposés puis progressivement atomisés - et ses techniques propres (glissandos, …). La première partie pourrait, en quelque sorte, s’apparenter à une exposition. Car l’envoûtement prend corps dans la seconde partie, deux fois plus développée, d’abord dans de spectaculaires glissandos, puis dans un tourbillon rythmé qui trouve sa résolution, perdendosi, sur un mi suraigu du violon accompagné par des accords répétés des autres instruments. Au fil de ce parcours, l’esprit de Bartok et celui - est-ce la guitare ? - de Falla semblent se rencontrer. Deux compositeurs qui, eux aussi, portant très haut l’exigence de leur art, ont toujours su se concentrer sur l’essentiel.



Simon Corley

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com