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La Sicile sans soleil

Baden-Baden
Festspielhaus
11/11/2022 -  et 13 novembre* 2022
Giacomo Puccini : Messa di Gloria : Credo
Pietro Mascagni : Cavalleria rusticana

Giorgio Berrugi (Turiddu), Carolina López Moreno (Santuzza), Domen Krizaj (Alfio), Eva Zaïcik (Lola), Cheryl Studer (Mamma Lucia)
Balthasar-Neumann-Chor, Balthasar-Neumann-Ensemble, Thomas Hengelbrock (direction)


C. López Moreno, G. Berrugi, E. Zaïcik (© Andrea Kremper)


Thomas Hengelbrock et le Balthasar-Neumann-Ensemble avancent toujours plus loin dans leur conquête du répertoire du 19e siècle, audaces ponctuelles pour lesquelles Benedikt Stampa, intendant du Festspielhaus de Baden‑Baden, continue à leur donner carte blanche. Mais là, avec Cavalleria rusticana de Mascagni (1890), on s’approche quand même beaucoup des modes expressifs du prochain siècle. Et même si le Balthasar-Neumann-Ensemble se présente en effectif renforcé, voire d’apparence banalement symphonique (seuls les violoncellistes, qui travaillent sans pique, l’instrument bloqué entre les jambes, attirent de prime abord l’attention), ce n’est plus vraiment l’orchestre adapté. L’écriture y met à mal des instruments à vent trop sommaires, voire des premiers pupitres qui ne semblent pas avoir le niveau technique requis. Le hautbois, terriblement vert, couine sans réussir à se fondre dans l’ensemble, et les flûtes sont poussives. Les cuivres en revanche, équipés d’un apparent confort moderne, restent relativement sûrs, et on apprécie un certain charme boisé du côté des cordes, au son un peu amorti... Cela dit, une impression globale de hors sujet reste plutôt tenace.


Dans un tel répertoire Thomas Hengelbrock ne serait‑il pas davantage à même de nous convaincre en dirigeant un orchestre moderne, doté d’une véritable aisance technique, quitte à prendre le temps de lui inculquer ces vertus d’articulation et de transparence qu’il aime à privilégier ? Il nous en avait totalement persuadé par exemple à Salzbourg en 2019 dans la Médée de Cherubini, en créant avec les Wiener Philharmoniker un espace expressif d’une véritable pertinence. Alors qu’ici les intentions sont sensibles, mais restent prisonnières d’un matériau sonore trop estompé voire étriqué. On devine une véritable réflexion d’ensemble, mais dont les reliefs paraissent émoussés.


Autre scrupule musicologique à double tranchant : le choix de réintégrer un certain nombre de coupures effectuées par Mascagni avant la création. Le compositeur débutait à l’époque et nombreux étaient ceux qui lui conseillaient de « faire court ». Techniquement aussi le rôle de Santuzza paraissait écrit trop haut, la partition chorale semblait globalement trop difficile, etc. D’où un certain nombre de modifications empiriques, qui n’ont plus jamais été rediscutées ensuite. La version jouée ici, qui anticipe une édition critique à venir chez Bärenreiter, récupère des interventions chorales plus élaborées (et intéressantes) dans l’air d’Alfio, un assez long passage choral pendant le Brindisi de Turiddu, et surtout, au cours de la scène de l’entrée dans l’église, le rôle de Santuzza devient effectivement assez périlleux dans l’aigu, ce qui requiert en ce cas plutôt les services d’un soprano, mais avec lors d’autres passages quand même des graves et une couleur de voix qui restent l’apanage d’un grand mezzo. Passés les premiers moments de curiosité on se dit que ces éléments de récupération n’apportent pas grand‑chose, voire effectivement alourdissent et embarrassent le propos. En tout cas ils n’allongent pas suffisamment l’œuvre pour qu’elle puisse occuper la soirée à elle seule. On la fait donc précéder du Credo de la Messa di Gloria de Puccini, œuvre de prime jeunesse mais déjà d’une belle qualité d’écriture.


Version de concert, mais où il suffit de quelques attitudes un peu soulignées, tantôt tourmentées, renfrognées, agressives... pour dessiner un semblant de drame. C’est aussi une bonne occasion de se rendre compte à quel point, une fois le pittoresque campagnard sicilien évacué, le livret reste sommaire. La distribution trouve ses marques facilement, avec un chant stylistiquement soigné, en tout cas sans vulgarité. On apprécie beaucoup le ténor italien Giogio Berrugi, Turiddu énergique mais qui ne crie pas et évite tout sanglot facile. Alfio et Lola vont bien ensemble, chanteurs tous deux impeccables, davantage bourgeois que rustiques. La Santuzza de Carolina López Moreno a davantage de chien, mais elle peine à décrocher les aigus trop haut perchés de la version « originale » et ses vociférations graves manquent un peu de tripes. Dans le rôle de Mamma Lucia, au lieu d’Elisabetta Fiorillo souffrante, on a la surprise de voir arriver Cheryl Studer, qui a aujourd’hui plus que l’âge du rôle, mais encore une vraie voix. Un petit moment d’émotion, que de se retrouver ainsi inopinément face à l’une des torches vivantes de la scène lyrique d’il y a trois décennies, à la silhouette désormais hésitante et voûtée, mais dont le visage a gardé un magnétisme particulier.



Laurent Barthel

 

 

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