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Dramaturgie décevante, musique convaincante

Amsterdam
Nationale Opera & Ballet
11/07/2022 -  et 10, 14*, 17, 20, 22 novembre 2022
Jeanine Tesori : Blue
Kenneth Kellogg (The Father), Aundi Marie Moore (The Mother), Darius Gillard (The Son), Will Liverman (The Reverend), Vuvu Mpofu (Girlfriend 1, Nurse, Female congregant 1), Thembinkosi Magagula (Girlfriend 2, Female congregant 1), Rehanna Thelwell (Girlfriend 3, Female congregant 1), Thando Mjandana (Policeman 1, Male congregant 1), Charles Williamson (Policeman 2, Male congregant 2), Martin Mkhidze (Policeman 3, Male congregant 3), Yanu Bertolino/Omari Komproe (Toddler Son)
Residentie Orkest Den Haag, Kwamé Ryan (direction musicale)
Tazewell Thompson (mise en scène), Donald Eastman (décors), Jessica Jahn (costumes), Robert Wierzel, Eric Norbury (lumières)


K. Kellogg, D. Gillard
(© Clärchen et Matthias Baus/Opéra national néerlandais)



Coproduit par le festival d’Opéra de Glimmerglass, qui en a passé la commande et où il a été créé en 2019, et les opéras de Washington et Chicago, Blue de Jeanine Tesori voit sa création européenne sur la scène de l’Opéra néerlandais à Amsterdam.


C’est un courant nouveau sur les scènes lyriques américaines (pas sur celles des comédies musicales où il y eut des antécédents notoires) : les oeuvres traitant spécifiquement de la communauté afro‑américaine fleurissent depuis quelques saisons. La plus célèbre, qui fit l’ouverture de la saison du Metropolitan Opera de New York en 2021 et que l’on a pu voir en direct en France dans les cinémas Pathé, est Fire Shut Up in My Bones du compositeur afro‑américain Terence Blanchard, une première absolue dans cette maison si traditionaliste. Exemple identique à Long Beach (Californie) avec The Central Park Five d’Anthony Davis, couronné d’un prix Pulitzer. C’est rien moins que le prix de la meilleure création lyrique décerné par l’Association des critiques musicaux d’Amérique du Nord qui a récompensé en 2020 Blue, quatrième opéra de la compositrice américaine Jeanine Tesori (née en 1961), après sa création au Glimmerglass Festival Opera à Cooperstown (Etat de New York), qui grâce à Francesca Zambello, alors directrice générale, en est le commanditaire, suivie d’une reprise au Seattle Opera, d’autres étant prévues au Lyric Opera of Chicago et au Washington National Opera, qui en a réalisé l’enregistrement, disponible sur deux disques Pentatone. Mais la carrière américaine de cet opéra a été freinée par la crise sanitaire du covid‑19.


Suivre sa trajectoire musicale permet de comprendre son style de compositrice, car avant de se lancer dans l’opéra – Blue sera suivi par Grounded qui sera créé en 2023 à Washington –, elle était célèbre depuis la fin des années 1990 à Broadway et bardée de Tony Awards, plus récemment pour son plus grand succès, le musical Fun Home, et également pour avoir collaboré au cinéma au récent remake par Steven Spielberg de West Side Story.


Est‑ce parce que l’accueil à la création américaine a été dithyrambique ou bien – car depuis la commande en 2015 passée par le Festival de Glimmerglass, tant de choses se sont passées sur l’actualité des rapports violents entre la police et la communauté afro‑américaine et que le tragique assassinat de George Floyd dans le Minnesota en 2020 et l’explosion du mouvement Black Lives Matter ont eu un immense retentissement mondial – parce que l’on a aujourd’hui l’impression que Blue a un temps de retard, plutôt une révision du passé qu’une proposition de réflexion sur l’avenir ? Avouons avoir été déçu par cet opéra, pas en temps qu’œuvre musicale mais par sa dramaturgie beaucoup trop faible, son livret qui, par de nombreuses longueurs et conversations d’une grande naïveté frôlant souvent la caricature, dilue l’intensité de l’élément tragique du récit.


Blue raconte l’histoire d’une famille afro‑américaine de Harlem dont le père policier – le titre faisant référence à la couleur des uniformes – s’oppose violemment mais avec amour à son fils, un adolescent activiste qui flirte avec la délinquance avant d’être tué par un policier blanc lors d’une manifestation pacifique. Le livret de Tazewell Thompson, pourtant jugé à la création par le New York Times comme « le plus élégant livret entendu depuis longtemps », manque totalement de ressort dramatique. Il articule une succession de tableaux. Les trois premiers tableaux tournant autour de la naissance du fils, entre la mère et ses amis, puis entre le père et ses collègues, puis une laborieuse scène à la clinique où l’on apprend au père à tenir son petit dans ses bras occupent le premier tiers de l’opéra sans aucune action dramatique avant que n’arrive la scène assez intense de confrontation entre le père et son fils devenu adolescent et totalement hostile à toute autorité parentale. Puis un entracte interrompt bien inutilement ce début d’action après lequel on apprend, sans que cela se soit traduit dramatiquement, que le fils a été tué. On assiste à la colère du père face à un prêtre qui essaie de le raisonner. Suivent la scène d’enterrement, elle aussi très diluée dans les discours, et un étrange épilogue où l’on assiste en flashback à un repas de la famille réunie dans une humeur plutôt tendre. Fantasme, réconciliation ou manière de happy end ? La fin reste ainsi ouverte mais apporte plus de perplexité que d’interrogations. L’œuvre dure deux heures, ce qui est probablement deux fois trop long pour la minceur du livret – mais pas du propos sur les violences policières –, qui aurait pu être traité de façon plus efficace et ramassée, avec, pourquoi pas, des interludes musicaux. En comparaison, Fire Shut Up in My Bones, avec des propositions théâtrales plus ambitieuses et une intrigue beaucoup plus étoffée, est bien supérieur à ce que Blue peut offrir sur le simple plan théâtral.


La musique de Jeanine Tesori donne une meilleure structure à l’ensemble. Les bavardages des personnages au début sont traités avec le même soin apporté aux recitativo des meilleurs comédies musicales. Les trois personnages principaux sont dotés d’arias dans la tradition de l’opéra américain à la Bernstein ou à la Gershwin. Le meilleur réside dans les scènes tragiques de l’église, où l’influence très forte du gospel donne lieu, avec l’hymne Lay My Burden Down, à un sextuor d’une écriture polyphonique du plus bel effet, exprimant subtilement la souffrance de la communauté. Même si ces influences sont évidentes, le style de Jeanine Tesori reste très personnel et convaincant. L’orchestration est très raffinée, avec l’utilisation d’instruments bien appropriés aux situations dramatiques.


Le chef canadien originaire de Trinité‑et‑Tobago Kwamé Ryan, à la tête de l’Orchestre de la Résidence de La Haye a dirigé avec précision, parfois un peu trop vigoureusement quitte à couvrir les chanteurs qui avaient pourtant, à l’exception du Fils (Darius Gillard), des voix au volume approprié aux proportions de la salle amstellodamoise. De la distribution originale ne restait que le Père de Kenneth Kellogg, à la stature de géant (comme le décrit le livret) et à l’impressionnante voix de basse, pas toujours bien maîtrisée mais formidablement efficace. Distribution restreinte  – car hormis la triade père-mère-fils, tous les rôles secondaires (aussi tous tenus par des chanteurs noirs) interprétaient plusieurs personnages – dans laquelle on distinguait pour la qualité de son chant et son bel impact dramatique le Révérend du ténor Will Liverman, formidable (malgré des dialogues parfois pompeux) dans la scène de consolation du Père. Très efficaces aussi les trois amies de la Mère, avec des voix très contrastées et plutôt typées musical, et les trois policiers amis du Père, un peu plus conventionnels dans leur présence scénique.


Si musicalement, le passage des petits théâtres de ses débuts à une grande scène lyrique est plutôt réussi, on reste un peu sur sa faim sur le plan théâtral, la mise en scène étant assurée comme à l’origine par le librettiste Tazewell Thompson, avec un dispositif certes très beau de Donald Eastman, une façade d’immeuble superbement éclairée qui évoque moins Harlem que les quartiers huppés et quelques rares accessoires, mais surtout l’absence de liant, voire de cohérence entre ces tableaux, solution un peu boiteuse entre l’opéra et le musical. Pour cette première européenne, l’Opéra national était inhabituellement clairsemé mais on pouvait constater, notamment par la chaleur de l’accueil, moins réservé que de coutume, que Blue y a clairement drainé un nouveau public.



Olivier Brunel

 

 

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