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Une Salomé faussement scandaleuse Paris Opéra Bastille 10/15/2022 - et 18, 21*, 24, 27, 30 octobre, 2, 5 novembre 2022 Richard Strauss : Salome, opus 54 John Daszak (Herodes), Karita Mattila (Herodias), Elza van den Heever (Salome), Iain Paterson (Jochanaan), Tansel Akzeybek (Narraboth), Katharina Magiera (Page des Herodias), Matthäus Schmidlechner, Eric Huchet, Maciej Kwasnikowski, Mathias Vidal, Sava Vemic (Fünf Juden), Luke Stoker, Yiorgo Ioannou (Nazarener), Dominic Barbieri, Bastian Thomas Kohl (Soldaten), Alejandro Balinas Vieites (Ein Cappadocier), Marion Grange (Ein Sklave)
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Simone Young (direction musicale)
Lydia Steier (mise en scène), Momme Hinrichs (décors, vidéo), Andy Besuch (costumes), Olaf Freese (lumières), Maurice Lenhard (dramaturgie)
(© Agathe Poupeney)
Orgies en tout genre, corps violés, mutilés, jetés dans une fosse à chaux par des hommes qu’on dirait employés d’une centrale nucléaire. En haut, Sodome et Gomorrhe, en bas la citerne du Prophète, gardée par des soldats qu’on croirait du RAID. Longs cheveux noirs, vêtue de blanc, étrangère à cet univers de sexe et de sang, Salomé aurait presque des airs de Liù. Rien de bien nouveau et ce n’est pas la première fois qu’on la verra se caresser après la descente de Jokanaan au fond de la citerne. Il faut attendre la danse, dont les metteurs en scène d’aujourd’hui ne savent pas toujours quoi faire. Lydia Steier immobilise alors Salomé, que viole Hérode avant qu’elle le chevauche et que tout vire au viol collectif, auquel même les cinq juifs participent. L’Américaine ne prétend pourtant pas nous provoquer, mais nous interpeller. Elle ne fait ni l’un ni l’autre – même si l’on a pris soin de prévenir les âmes sensibles. Le trash à l’Opéra n’est plus que lieu commun et l’on est plutôt blasé en la matière – que nous importe qu’un Nazaréen devienne travelo ? Faussement scandaleuse, la production est en réalité bien pauvre d’idées, avec un Hérode lubrique, une Hérodias nymphomane barjo et shootée dessinés à gros traits, une Salomé ne renouvelant rien. Exceptons‑en, toutefois, l’image finale – sauf le massacre commis par le Page, que rien ne justifie. Déjà atteinte par un soldat, Salomé, la robe blanche maculée du sang des viols, rampe à terre tenant entre ses mains la tête du Prophète, pendant que l’interprète chante enlacée à lui dans la cage qui s’élève vers les cintres, comme en une assomption : le fantasme est enfin assouvi. Il n’empêche : après Krzysztof Warlikowski à Munich, Romeo Castellucci à Salzbourg ou Andrea Breth à Aix, quelque contestables qu’ils fussent parfois, on tombe de haut.
On tombe aussi de haut en écoutant, après Kirill Petrenko, Franz Welser‑Möst ou Ingo Metzmacher, Simone Young. Une bonne technicienne de l’orchestre, à laquelle on reconnaît une parfaite maîtrise de la partition, mais qui additionne des instants sans tendre l’arc d’un drame là où tout doit implacablement avancer, étrangère aux courbes sensuelles de la musique de Strauss comme à ses raffinements coloristes – la Danse des sept voiles est d’une singulière raideur. Elza van den Heever, dont la voix s’est beaucoup corsée, campe heureusement une belle Salomé, victime de la dépravation ambiante et de la folie de son désir, moins mémorable toutefois qu’une Asmik Grigorian à Salzbourg ou une Elsa Dreisig à Aix – à cause aussi, sans doute, de la mise en scène. Et l’on attendra la scène finale, lors de cette troisième représentation, pour que la voix, qui accuse au début quelques disparités de registres malgré de beaux aigus pianissimo, s’épanouisse totalement et se hisse au sommet, valant un triomphe à la soprano sud‑africaine. Salomé plus absolue jadis, l’Herodias de Karita Mattila, exhibant ses faux seins, transcende l’usure de ses moyens par une composition saisissante, alors que John Daszak, comme à Salzbourg et à Aix, est en revanche un Hérode percutant, d’une perversité abjecte, loin des ténors en fin de course souvent distribués, qui trouve la balance entre le chant et le Sprechgesang. Bien en voix aussi le Prophète à la fois terrible et ambigu de Iain Paterson, d’une solidité d’airain, pas très irradiant néanmoins. Si l’impeccable Narraboth de Tansel Akzeybek pourrait être plus extasié, Katharina Magiera prête au Page les profondeurs de son superbe contralto. Les rôles secondaires, des soldats aux cinq juifs, sont parfaitement distribués. Il n’empêche : malgré les chanteurs, la production ne risque pas de faire date.
Didier van Moere
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