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« Il est des lieux où souffle l’esprit »

Laon
Cathédrale
09/23/2022 -  et 25 (La Chaise‑Dieu), 27 (Vézelay) août, 22 septembre (Tourcoing), 20 octobre (Compiègne) 2022
Clément Janequin : O doulx regard, o parler
Rodion Chtchedrine : L’Ange scellé : premier mouvement
André Jolivet : Cinq Incantations : 4. « Pour une communion sereine de l’être avec le monde »
Carlo Gesualdo : Quatrième Livre de madrigaux : « Sparge la morte al mio signor »
Arvo Pärt : The Deer’s Cry
Charles Ives : The Unanswered Question
Olivier Messiaen : Poèmes pour Mi : 5. « L’Epouse » – L’Ascension : 1. « Majesté du Christ demandant sa gloire à son Père »
Francis Poulenc : Stabat Mater, FP 148

Marianne Croux (soprano)
Ensemble Aedes, Les Siècles, Mathieu Romano (direction)


M. Romano, M. Croux (© Robert Lefèvre )


Les musiciens des Siècles comptent parmi les habitués des lieux : Jean‑Michel Verneiges, directeur artistique du Festival de Laon, a invité l’orchestre dès 2007, quatre ans seulement après sa fondation sous la houlette de François‑Xavier Roth. Majestueuse bâtisse du XIIIe siècle juchée au sommet de la vieille ville, la cathédrale Notre‑Dame de Laon a inspiré ce concert original conçu par Mathieu Romano pour la trente‑quatrième édition du festival : la Vierge en souffrance, incarnée par le Stabat Mater de Francis Poulenc (1899‑1963), célébration vers quoi la programmation étage ses paliers à partir d’une chanson de Clément Janequin (1485‑1558).


La diction immaculée de l’Ensemble Aedes magnifie le vieux français de O doulx regard, o parler, dont les quintes à vide entrent en harmonie avec les lignes sévères et les vastes volumes de l’édifice à l’acoustique étonnamment peu réverbérée. Mathieu Romano parvient même à obtenir des pianissimos aux limites de l’audible et finement ciselés. Qualités reconduites dans L’Ange scellé, où Rodion Chtchedrine (né en 1932) prescrit par endroits la bouche fermée, à l’instar du célèbre chœur de Madame Butterfly. On notera le dialogue de sourd auquel se livre une flûte solo aux accents convulsifs et cette écriture chorale aux tournures archaïsantes prédilectionnée par les compositeurs russes. Pensées comme autant de préambules au Stabat Mater, les pièces s’enchaînent sans interruption ni continuité chronologique. C’est ainsi que le madrigal « Sparge la morte al moi signor » (extrait du Quatrième Livre) de Gesualdo (1566‑1613) précède The Deer’s Cry d’Arvo Pärt (né en 1935). Si elle exclut tout dolorisme outrancier chez le prince de Venosa, l’interprétation du chœur Aedes négocie admirablement les oppositions de registres et le crescendo – jusqu’à atteindre l’intensité d’une supplique – à l’œuvre chez le compositeur letton, qui troque ici le latin pour l’anglais.


L’orchestre fait son entrée dans The Unanswered Question (1908). Petite entorse à la partition de Charles Ives (1874‑1954) en vue de neutraliser les applaudissements et habiter le silence, la trompette, soustraite au regard, entonne sa fameuse question avant que les cordes ne déroulent leur tapis d’accords parfaits à quatre parties. A l’intonation impeccable du trompettiste Fabien Norbert et des cordes répond la raillerie des bois, confinés entre ces deux pôles d’immobilité.


Il faudra se contenter d’une seule mélodie des Poèmes pour Mi (1937) d’Olivier Messiaen (1908‑1992) là où on eût volontiers prolongé le cycle en compagnie de Marianne Croux, dont le soprano dramatique convient bien au lyrisme serein et eux volutes plein‑chantesques de « L’Epouse ». Orchestré pour les seuls cuivres – que soutiennent flûtes, clarinettes et bassons –, l’ample choral de « Majesté du Christ demandant sa Gloire à son Père », premier mouvement de L’Ascension (1933), expose surtout les trompettes (d’époque), aux sonorités plus coruscantes que moelleuses.


De même que Janequin peut être intériorisé ou gouailleur dans ses chansons parisiennes, Poulenc est une personnalité Janus, que Claude Rostand définit en son temps comme moine et voyou. C’est naturellement le premier versant qui s’exprime dans le Stabat Mater (1950) – crypte à la future cathédrale des Dialogues des carmélites. Elaborée sans être complexe, la musique ménage quelques échappées solistes, distribue les figuralismes, alterne épisodes a cappella, très introspectifs, et épisodes dont la violence n’a d’égale que la brièveté. L’étreignant « Fac, ut portem » voit le soprano (extatique Marianne Croux) évoluer au‑dessus de rythmes pointés dans un tempo de sarabande.


Reste à boucler la boucle : Janequin revient en guise de bis, chanté a cappella par l’orchestre et le chœur. Les Siècles et Aedes, réunis en grand conclave, y brillent de mille feux, tel un vitrail traversé par le soleil de midi.


Le site du Festival de Laon dans l’Aisne



Jérémie Bigorie

 

 

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